Comment est né le collectif des LilithS ?
En mars 2013, certaines d’entre nous se sont rencontrées en intégrant un autre collectif féministe d’action directe. Mais, six mois plus tard, n’y trouvant pas notre compte, nous l’avons quitté pour créer le nôtre, à notre image : les LilithS.
Nous voulions créer un espace de parole non mixte pour réfléchir collectivement à nos outils dans le but de passer à l’action, mais également pour partager nos expériences personnelles, nos visions du monde, nos fragilités et nos forces. D’autres femmes ont rejoint le groupe et LilithS a pris de l’ampleur, dans nos vies et dans nos cœurs.
Vous vous présentez comme un « groupe féministe activiste révolutionnaire ». Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est un peu sérieux comme présentation… Nous revendiquons le droit de surgir dans l’espace public ou dans les sphères de pouvoir pour diffuser des messages qui remettent en question l’ordre établi.
Nous avons choisi de nous présenter en peu de mots, de façon assez générale, pour préserver la diversité d’opinions de notre groupe.
Nous sommes un groupe, un collectif, dont les membres sont libres et n’ont pas besoin d’adhérer à un manifeste qui dicterait la manière dont une LilithS doit penser. C’est ce qui nous effraie dans les partis politiques et certains mouvements.
A vrai dire, nous fuyons les étiquettes, la hiérarchie et toute forme d’institutionnalisation. Nous partons du fait que nous partageons certaines valeurs telles que le féminisme, l’anticapitalisme, l’anti-impérialisme.
Le mot « révolutionnaire » peut sembler flou. Ici, nous l’employons pour dire que nous ne luttons pas pour sensibiliser le pouvoir à notre cause mais bien pour qu’il dégage. Nous sommes convaincues que les hommes (car ce sont principalement des hommes) qui dirigent ce monde, aux niveaux politique, culturel et économique, œuvrent pour les intérêts de certains mais définitivement pas pour ceux du plus grand nombre. Ce serait prétentieux de dire que nos actions sont révolutionnaires. Elles sont plutôt comme de petites étincelles. Et nous soufflons dessus en espérant que le feu prenne. Nous voulons donner envie aux autres de se mettre à l’action, d’utiliser l’humour et la joie comme des armes.
A la différence d’autres groupes d’action féministes, vous sortez des thématiques exclusivement féministes pour vous intéresser à des questions sociales et politiques plus larges : situation des migrant-e-s, ventes d’armes à Israël… En quoi ces questions font-elles partie d’une action féministe ? Ou, pour le dire autrement : comment vous situez-vous, en tant que féministes, sur des questions qui ne sont pas spécifiquement féministes ?
Pourquoi les femmes devraient-elles se cantonner à des luttes spécifiquement féministes ? Le fait de ne pas dissocier notre engagement politique de notre engagement féministe est constitutif de notre groupe. Selon nous, il faut cesser de compartimenter les luttes.
Les oppressions sont multiples, elles sont raciales, classistes, sexuelles, de genre… Toutes les personnes qui sortent du standard blanc, aisé et hétéronormé voient leurs vies bridées, et parfois leurs droits restreints, par un seul et même système qu’il faut combattre en front commun. Nous sommes persuadées qu’il n’y aura pas de réelle émancipation des femmes sans un changement radical de la société.
L’asservissement des femmes est contingent à l’essor du capitalisme. Ce système nous a délibérément coupé d’une connaissance ancestrale de nos corps, de la nature et de divers savoir-faire pour nous réduire pendant des siècles à nos capacités de reproduction. Au Moyen Age, les femmes travaillaient dans divers corps de métiers ; c’est avec l’arrivée du capitalisme primitif qu’est né le concept de femme au foyer (faible et docile) (1). Lutter pour des droits sans enrayer la machine capitaliste, c’est rebondir sur des murs ; nous sommes influencées, comme de nombreuses féministes actuellement, par la pensée de Sylvia Federici (historienne marxiste et féministe). Son livre Caliban et la sorcière a été traduit récemment en français, il nous offre enfin un aperçu scientifique et exhaustif de l’histoire des femmes ; nous ne pouvons que vous inviter à le découvrir.
Vos actions ont-elles eu un impact — politique, social, culturel, médiatique, humain… ?
Nos actions créent des effets, des réactions, des liens, positifs ou négatifs. Elles suscitent des débats et des frictions qui encouragent la réflexion.
Prenons l’exemple de celle que nous avons menée à l’aéroport de Liège en août 2014 (pendant le dernier assaut contre Gaza). Nous avons voulu mettre en lumière l’opacité des transactions de marchandises et d’armes entre Israël et la Belgique en déroulant une grande banderole sur laquelle était inscrit : « Combien de tonnes d’armes pour tant de litres de sang ? » et en déversant 100 litres de faux sang sur le sol de l’aéroport (lequel a inventé des frais de nettoyage considérables que nous refusons de payer). S’ils prennent le risque d’un procès, celui-ci a toute les chances d’être politique et très médiatisé ; ça pourrait susciter un débat à l’échelle nationale et donc des réformes pour plus de transparence de la région wallonne concernant ses échanges économiques avec les occupants israéliens. C’est un exemple du type d’impact que nous pouvons avoir.
Suite à cela, nous avons reçu de nombreux messages de remerciements et d’encouragements depuis Gaza et partout dans le monde. Certaines de nos actions sont boudées par la presse de grande diffusion mais on s’en fout ! Les réactions des gens qui nous font savoir que nos actions leur font du bien et leur donnent force et espoir sont plus précieuses.
Comment êtes-vous organisées ?
Nous sommes un groupe informel qui fonctionne de manière horizontale.
Nos réunions et nos actions sont non mixtes, mais il arrive que des hommes nous aident à des niveaux logistiques (conducteurs, photographes…) pour peu qu’ils soient féministes.
La non-mixité est libératrice et émancipatrice. S’il y a un homme dans un groupe de femmes, la parole ne circule plus de la même manière, même s’il est bien intentionné, car l’oppression est un processus sournois qui peut être intériorisé et inconscient. Les hommes et les femmes ne sont pas éduqué.es à prendre la parole de la même manière. Souvent, la parole masculine est plus respectée, moins interrompue. C’est un état de fait « intégré » par les deux parties.
Christine Delphy exprime les choses ainsi dans un texte publié sur le site Les Mots sont importants (lmsi.net) : « Dans les années 1960, la non-mixité a d’abord été redécouverte par le mouvement américain pour les droits civils qui, après deux ans de lutte mixte, a décidé de créer des groupes noirs, fermés aux Blancs. C’était, cela demeure, la condition pour que leur expérience de discrimination et d’humiliation puisse se dire, sans crainte de faire de la peine aux bons Blancs, et pour que la rancœur puisse s’exprimer – et elle doit s’exprimer. » L’émancipation ne peut se réfléchir sous le regard de l’oppresseur.
Vous revendiquez des modes d’action « non violents » : qu’est-ce que la non-violence pour vous ?
Parlons plutôt de violence. Nous ne sommes pas pacifistes puisque nous jouons parfois avec une violence qui, même si elle reste symbolique, répond comme un pied de nez à la soi-disant non-violence qui serait inhérente aux femmes. Nous nous jouons des codes de la représentation féminine en apparaissant masquées, guerrières, placides et menaçantes. Nous ne souhaitons blesser personne physiquement, mais n’hésiterons jamais à attaquer les acteurs de la violence sociale.
En comparaison à cette violence structurelle de la société, nous sommes de gentilles clowns, non ? La barbarie du capitalisme est inouïe, sans visage, et elle frappe aveuglément. L’exploitation effrénée des corps et des ressources est monstrueuse. Ces corps touchés sont bien réels, et nous avons choisi de mettre les nôtres en mouvement pour sortir de cette pesanteur paralysante.
Quel sens a pour vous l’utilisation de l’humour dans les actions ?
Nous utilisons l’humour comme un outil sensibilisateur et fédérateur. « La joie dans la lutte donne de la force », c’est Angela Davis qui l’a dit.
Nous sommes bien conscient.es des ignominies mais ce n’est pas pour autant que nous devons porter sur nos épaules toute la misère du monde, tirer la tronche et nous refermer sur nous-mêmes. Ce serait contre-productif car les luttes visent en principe au bien-être, donc à la joie.
Enrouler Christine Boutin, la porte-parole du mouvement pro-vie et « anti-mariage pour tous », dans un drapeau LGBTQIF (lesbien, gay, bi, trans, queer, intersexe, féministe), puis la couvrir de baisers, c’est caresser l’idée qu’elle puisse un jour être des nôtres. L’humour nous rend optimistes !
Propos recueillis par Guillaume Gamblin
(1) Note de la rédaction : A la rédaction de Silence, beaucoup ont des doutes sur le fait que le concept de femme au foyer soit lié à l’émergence du capitalisme. Le patriarcat est ancien, en Grèce antique, par exemple, il semble que les femmes étaient réduites aux travaux ménagers et à la reproduction.
Quelles inspirations ?
Quand on demande aux LilithS quelles sont leurs sources d’inspiration au niveau des modes d’action, elles citent « les Witches et les Suffragettes, en passant par les Zapatistes, les Yes Men, les actions de l’ombre (anars et autres anonymes), les Black Panthers, les Guérilla Girls, les Pussy Riot, les mouvements anti-pub, les Riot Grrrl, les faucheurs volontaires, les casseurs de McDo, les ZADistes, jusqu’aux entarteurs. En fait, toutes les personnes qui se soulèvent de manière inventive, frondeuse et révolutionnaire ! »
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