« Merhaba ! » nous lance un vieux monsieur au détour d’un chemin. Entre deux coups de massue pour creuser la roche, Mehmet reprend son souffle et nous invite à prendre le thé. Nous sommes en Cappadoce au centre de la Turquie où le vent et la pluie ont creusé le tuff - une roche tendre provenant de débris volcaniques - pendant des siècles. De génération en génération, les habitants de la région ont tiré parti de ce phénomène pour aménager de magnifiques maisons troglodytes !
Le lendemain, nous rencontrons Kadir, le fils de Mehmet, qui nous livre un bout de l’histoire de sa famille « Quand j’étais petit, on vivait dans une maison troglodyte dans le centre de Göreme. Faute d’avoir l’argent pour rénover, mes parents ont été contraints de vendre pour s’installer dans une maison en béton. Aujourd’hui à Göreme 70% de ces habitats sont occupés par des touristes. En revanche dans les petits villages à l’écart, la plupart des maisons troglodytes sont toujours habitées par des locaux. En plus d’être économiques, elles sont parfaitement adaptées au climat de la région : la roche garde une température constante d’environ 15 degrés tout au long de l’année, alors qu’ici il peut faire 40°C en été et jusqu’à -20°C en hiver ! »
Sur le bout de terrain qui leur reste, les parents de Muko veulent maintenant construire une chambre d’hôtes dans la roche, mais la politique de l’UNESCO ne les y autorise pas. « Dans l’absolu la protection du patrimoine naturel est une bonne chose, sauf que c’est deux poids deux mesures. Pour les personnes qui n’ont ni moyens ni relations, ces règles sont très strictes. Par exemple pour se raccorder au réseau d’eau, on doit attendre six à sept mois pour avoir les autorisations. Par contre, les riches hôteliers qui construisent des piscines et des ascenseurs dans la roche ne sont jamais inquiétés ! » Kadir est le reflet de nombreux habitants de Cappadoce, coincés entre le tourisme qui est devenu leur gagne-pain et la transformation de la région bien souvent à leur détriment.
Même s’ils ne semblent pas faire le poids contre le rouleau compresseur du tourisme de masse, des Turcs s’organisent pour protéger leur patrimoine et le droit de vivre dans ces habitats adaptés à leur climat. C’est le cas de « Muko », un activiste passionné qui a créé avec l’aide de quelques personnes l’association « Cappadocia History Culture Research & Protection ». Comme Kadir, il a grandi ici dans une maison troglodyte et est resté fasciné par elles. « Chacune est unique. Pour moi, les maisons standardisées d’aujourd’hui limitent l’imaginaire. Les pièces ont les mêmes dimensions, on y trouve les mêmes meubles, venant des mêmes magasins… Je crois qu’il est plus difficile de concevoir un autre monde quand on vit dans un environnement formaté voire stérilisé... »
Chloé Deleforge et Olivier Mitsieno
Projet Eco-logis
Pour en savoir plus sur la construction d’Erdem, et les autres éco-bâtisseurs que nous avons rencontrés, rendez-vous sur notre site eco-logis.org à la rubrique « carnet de route » et sur facebook « ecologis.project ».