Qu’en est-il de ce projet de réforme territoriale et de fusion des régions au regard de la qualité de notre régime démocratique ? Et de la séparation des pouvoirs, sur laquelle repose la démocratie représentative occidentale ? Accessoirement de l’économie de gestion visée ?
En politique, le principe de subsidiarité conduit à ne pas faire à un échelon plus élevé ce qui peut l’être avec la même efficacité (voire mieux) par un échelon plus proche des citoyens. Le niveau supérieur n’intervient qu’en cas de difficulté. Ainsi, le principe de subsidiarité s’oppose au centralisme. Un principe supplémentaire a été proposé par Tocqueville : lorsque la collectivité de rang plus élevé doit agir dans une collectivité locale, par exemple, elle ne doit le faire que par délégation au niveau local. Aujourd’hui ce principe est largement appliqué au cas de l’aménagement du territoire. Quelle est la situation actuelle au regard de ces principes ?
La séparation des pouvoirs n’existe pas dans les collectivités locales françaises
Si, dans la majorité des pays européens, les maires sont désignés ou élus de manière indépendante du conseil municipal, ce n’est pas le cas en France. Plusieurs listes de candidats au conseil municipal sont soumises aux suffrages, chacune menée par une tête de liste. La liste qui obtient plus de 50 % au premier tour (ou la majorité au second tour), bénéficiera de plus de 75 % des sièges de conseillers municipaux. Ensuite, le maire est élu à scrutin secret par les conseillers au cours de la première réunion du conseil. C’est le Conseil municipal également qui élit en son sein des adjoints au maire après avoir déterminé, par délibération, l’effectif nécessaire. Ainsi les futurs adjoints décident eux-mêmes de leur nombre et, comme le maire, du montant de leurs indemnités. On trouve ici l’explication du nombre pléthorique de vice-présidents, le montant des indemnités étant source de motivations malsaines.
Il en est de même à la communauté de communes. La situation est semblable pour la région et le département. L’État n’est pas mieux protégé puisque ce sont les députés qui décident comment ils vont être élus et rémunérés, quelle retraite ils recevront et de quelle indemnité de chômage ils bénéficieront s’ils ne sont pas réélus.
La subsidiarité n’est pas respectée et la centralisation prévaut
En France, l’État lui-même intervient dans de nombreux domaines au sein des Régions, des départements et encore plus en aval par ses sous-préfectures. La Région reste propriétaire des lycées et assure l’entretien et la gestion des personnels de service alors que la ville d’implantation pourrait le faire avec plus d’efficacité et à coût moindre. C’est pourtant sa population qui est concernée. Les départements aussi contreviennent à cette règle dans beaucoup de domaines : les collèges, l’entretien des routes départementales, les services de la petite enfance, les services des assistantes sociales. Gérer à distance de tels services oblige à passer 25 % du temps à écrire des rapports d’activité et à multiplier les déplacements.
L’effet mille-feuille perçu par le citoyen
Pour un problème relatif à la garde d’enfants par exemple, il faut contacter à la fois la caisse d’allocations familiales qui dépend de l’État, le service de la PMI du département ou ce même service territorialisé : le relais assistante maternelle qui dépend de la communauté de communes. Ce n’est pas la suppression d’un niveau de collectivité locale qui évitera le mille-feuille, mais bien la suppression de la centralisation administrative et donc la délégation obligatoire de la collectivité de rang plus élevé vers la collectivité de rang inférieur.
Conséquences financières
Inadéquation des projets, indemnités indues, doublons dans les administrations d’où une efficacité réduite des personnels, un accès trop compliqué pour le citoyen. Une grande part de la différence entre la proportion de fonctionnaires dans la population active en France et en Allemagne (respectivement 22 % et 10 %) trouve son origine ici. En outre, comme les anticipations le démontrent, deux régions fusionnées seront plus coûteuses qu’elles ne l’étaient avant fusion, notamment à cause de l’effet Parkinson (voir encadré).
Résultat prévisible : la réforme régionale renforcera la centralisation
Les défauts qui viennent d’être cités : absence de séparation des pouvoirs, centralisation administrative, manquement à la subsidiarité, sont-ils visés par la réforme territoriale ? Avant même de définir quelles missions seraient dévolues aux régions, l’objectif était initialement d’en réduire le nombre pour leur donner plus de puissance. Mais il n’est pas dit que, pour ce faire, de nouveaux pouvoirs devront être décentralisés de l’État vers les régions. Au contraire on fera remonter les pouvoirs des départements vers les régions ! Ainsi on cumulera la remontée de certaines responsabilités et la réduction du nombre de régions ! Ce projet n’aboutit qu’à une exagération des défauts existants.
La nouvelle carte régionale résultera des conflits d’intérêts
Plus significative encore, la méthode utilisée pour définir la nouvelle carte des régions est fondée et faussée sur et par les conflits d’intérêts. En effet, ce sont les députés qui en ont le pouvoir et dans ce cas ils montrent que leurs motivations sont dictées par l’intérêt de leur parti ou le leur propre, attaché à leurs autres fonctions. Ainsi s’explique la configuration de régions telles que l’Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente, ou le débat sur la fusion de la région Nord-Pas-de-Calais Picardie.
Le pouvoir des régions en sortira-t-il renforcé ?
Le but officiel est de leur permettre de développer une politique économique plus efficace. Les experts émettent le plus grand doute sur la validité de cet argument. Si l’Allemagne a deux grandes régions, elle en a d’autres qui sont limitées à une ville comme Brême et Hambourg, et la Sarre n’est guère plus importante qu’un département français. En Suisse les cantons ont plus de responsabilités que les régions françaises, en particulier au niveau économique, alors que leurs tailles sont comparables aux départements français. Tout ceci fait dire au géographe Gérard-François Dumont (1) que la recherche de la dimension optimale des régions s’apparente au débat sur le sexe des anges. Il est plus important pour lui de savoir à quel territoire les citoyens se sentent attachés.
Cette réforme ne résout aucune des failles du système démocratique
Manquements à la séparation des pouvoirs, centralisation administrative et sa conséquence sur l’image du mille-feuille… Elle ne donnera pas aux régions françaises la puissance du Länder allemand ou du canton suisse qui la tirent de leur capacité législative, et cela ne fera qu’accroître les coûts de fonctionnement de l’ensemble des collectivités locales. Par ailleurs, si on voulait pour cette modification des territoires régionaux utiliser une procédure démocratique, il faudrait passer par le référendum, seule solution propre à éviter que les décisions dépendent de conflits d’intérêts.
Recours possible au référendum
Comme il s’agit des régions, la subsidiarité implique que les décisions doivent être prises par les populations des régions elles-mêmes chacune pour son propre compte.
Ces référendums, parce que régionaux, ne seraient pas détournés de leurs objectifs par des réactions d’opposition au gouvernement, raison qui a été évoquée pour éviter la solution référendaire.
André Duval
L’effet Parkinson
L’effet Parkinson se manifeste dans les administrations du fait de la volonté de chacun de faire valoir l’importance de ce qu’il fait. Plus elles sont importantes, plus l’effet grandit, la chaîne hiérarchique étant plus longue. On a pu l’observer dans les communautés de communes : la délégation de responsabilités des communes n’a pas réduit le nombre de fonctionnaires territoriaux. Dans les communes, bien souvent, une personne s’occupait, quand nécessaire, du réseau de distribution d’eau et répondait aux anomalies de fonctionnement. (Ce n’était pas un poste spécifique). Cependant, sa connaissance du réseau et des habitudes des habitants lui permettait d’imaginer ce qui ce qui avait pu se passer et de réagir immédiatement.
Lorsque la communauté de communes est intervenue, un service a été créé. Et voici le déroulement d’après un exemple concret : Dès qu’il a été saisi, le chef a choisi l’équipe libre, toujours au moins deux personnes qui ont parcouru 10 km en voiture, étudié la situation, imaginé plusieurs hypothèses, etc. Au bout de 4 heures, l’ancien fontainier a expliqué qu’il s’agissait simplement d’une ouverture à grand débit du robinet d’un abonné. En 10 minutes le problème aurait pu être résolu sur place. Et j’oublie l’entropie produite par un service avec plusieurs personnes.
André Duval a été maire de Chênex, en Haute-Savoie, de 1974 à 1989 et de 2002 à 2008. Il a été président du Sivom puis de la Communauté de communes du Genevois, de 1981 à 2002. Il participe à un groupe de réflexion politique à Annecy, le Centre Lebret, et c’est dans ce cadre qu’il a proposé cette analyse.
(1) Professeur à la Sorbonne, Président de l’association Population & Avenir et de sa revue éponyme, Expert auprès du Comité économique et social européen (CESE).