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Faut-il recycler nos déchets ?

Francis Vergier

Recycler nos déchets n’est pas une solution correcte. Il faut aller vers une réduction de la production à la source et tendre vers le zéro déchet.

Tout commence lorsque je veux élaguer un résineux en milieu urbain. Les branches sont difficilement compostables. Jusqu’il y a quelques années, on récupérait le bois pour la cheminée, et on brulait le reste dans son jardin. Aujourd’hui, ce n’est plus possible : à Paris, les cheminées à feu ouvert sont en sursis et cela va se généraliser aux autres villes ; faire brûler ses déchets dans son jardin est interdit de plus en plus souvent.
Il faut donc tout emmener à la déchetterie. J’habite à 7 km de l’une d’entre elles, et je n’ai pas de voiture, donc je dois en louer une, la charger, plusieurs fois, la restituer. A la fin, j’ai parcouru plus de 50 km. Je pollue avec la fabrication d’une voiture, je pollue en brûlant du carburant, et évidemment à la déchetterie les trajets ne sont pas terminés : les bennes sont ensuite emmenées dans différents lieux (à l’incinérateur pour partie, à 5 km de la déchetterie, ou à la zone de compostage, à 10 km…). Quel est le bilan carbone du recyclage ainsi organisé ? Mieux que brûler les déchets verts dans mon jardin ? J’ai un doute.

Trafic de déchets et d’argent sale

J’ai encore plus de doutes lorsque je me penche sur l’actualité des déchets. Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, on peut suivre depuis des années le feuilleton des frères Guérini. Jean-Noël, président du conseil général, a confié à Alexandre son frère la gestion d’une partie des circuits de traitement des déchets (1). On y trouve outre le favoritisme, des détournements de fonds publics, du blanchiment d’argent… C’est à l’échelle de ce département, la même affaire que la Mafia qui dans la région de Naples, a aussi mis la main sur le traitement des déchets (2).
Si tant de sociétés privées, « réglo » ou relevant du banditisme, se battent pour le contrôle de nos déchets, il doit bien y avoir une raison.
Il y a encore plus fumeux. Depuis 1999, les piles doivent être rapportées aux magasins qui les vendent. Si la collecte est ainsi assez simple, cela se complique au-delà du magasin : les piles partent sur des plates-formes de collecte puis par camions, elles rejoignent des usines spécialisées où elles peuvent être traitées. Cela engendre de très nombreux trajets en camion. Comme le recyclage est complexe et polluant, une partie des piles sont expédiées à l’étranger par camions ou par bateau. Selon une étude de l’ADEME (3), en 1993, le tiers des tonnages transportés par les camions, en France, sont des déchets ! Et cela empire chaque année du fait de nouveaux produits en fin de vie (que l’on pense à la multiplication dans le domaine de l’électronique) et du fait de nouvelles obligations.
L’incinérateur n’est pas une solution. « Rien ne se perd, tout se transforme » disait déjà Lavoisier au 18e siècle. Un incinérateur sépare les déchets en trois phases : une phase gazeuse qui part dans l’atmosphère, une phase liquide qui part dans les cours d’eau, une phase solide qui est récupérée dans les filtres et les cendres et qui va ensuite — en principe — dans une décharge spécialisée.
La logique de cette « croissance verte » du recyclage, c’est que plus on multiplie les opérations, plus on multiplie les intermédiaires et donc les marges, les dessous de tables, les possibilités de faire de l’argent…

Zéro déchet

L’alternative n’est donc pas de trier ses déchets, mais d’éviter d’en produire. Pour le dire autrement, de passer du « développement durable » à la « décroissance ». L’un des premiers à avoir compris cela a été Paul Connett, un activiste des Etats-Unis, chimiste de profession, qui depuis une trentaine d’années incite les collectivités à penser comment éviter la production de déchets, plutôt que de savoir ensuite qu’en faire.
En France, il collabore de longue date avec le CNIID, Centre national d’information indépendante sur les déchets (4) qui travaille en lien avec de nombreux groupes locaux qui se bagarrent contre les incinérateurs ou les décharges. La recette pour aller vers le zéro déchet se décline à de nombreux niveaux : limiter ses besoins, utiliser jusqu’au bout, réparer, composter, réutiliser par les ressourceries… Cela implique aussi de changer de nombreux secteurs : interdire la publicité qui incite à la surconsommation, augmenter les garanties sur les objets pour éviter l’obsolescence programmée, déterminer des processus de fabrication pour ne pas utiliser de mélanges dans les matériaux qui rendent le recyclage extrêmement difficile, supprimer les objets jetables (5).
L’idée n’est pas d’aujourd’hui (6), mais comme pour toute transition vers un monde meilleur, elle doit lutter contre un message dominant qui ne met l’accent que sur la valeur du tri… en oubliant l’essentiel.

Francis Vergier
Economie circulaire, écologie industrielle ?

Pour poursuivre dans la voie de la « croissance verte », les concepts nouveaux se multiplient. C’est comme la lessive qui lave toujours plus blanc ! Ainsi, il existe une théorie de « l’économie circulaire » (ou « écologie industrielle »). L’idée est séduisante : avec les déchets de l’un on a la matière première de l’autre. Mais ce qui marche partiellement dans certains cas (papier recyclé, verre recyclé), connaît vite des limites car il existe un principe d’entropie qui fait que l’on ne récupère pas tout, que tout ne peut pas être recyclé, que le recyclage ne peut pas garantir la même qualité qu’à l’origine… Exemples :
• Le pneu s’use sur des dizaines de milliers de kilomètres de route. Il n’existe aucun moyen de récupérer ce qui reste sur la route… ces particules, lessivées par la pluie, polluent les cours d’eau.
• Malgré la collecte obligatoire des piles, selon l’ADEME, en France, environ 4 % disparaissent dans la nature… soit quand même 7 tonnes par an.
• Le recyclage du plastique ne redonne pas le même plastique, mais un plastique de moins bonne qualité.
• Pour le papier, on estime qu’il est possible de recycler 7 fois un même papier, toutefois, les fibres s’abiment progressivement et le papier voit sa qualité baisser.

En marge (900 signes)
(1) La première plainte contre les deux frères remonte au 16 avril 2009.
(2) Voir par exemple « Naples, poubelle de l’Italie », Le Monde, 20 décembre 2013. En Italie, on parle maintenant d’éco-mafia.
(3) « La logistique et le transport des déchets ménagers agricoles et industriels », Ademe, 1997, disponible sur internet : http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/Temis/0026/Temis-0026967/11727.pdf
(4) CNIID, 18, boulevard Barbès, 75018 Paris, tél : 01 55 78 28 60, http://www.cniid.org
(5) Un programme a été mis en place avec quelques hôpitaux dans le monde pour utiliser la stérilisation des objets par la chaleur plutôt que d’utiliser des objets jetables.
(6) Dans le dossier « Déchets : pour une collecte sélective d’alternatives » (Silence n°295, avril 2003), l’éditorial annonçait déjà « Vers le zéro déchet ». Dans ce numéro aujourd’hui en libre téléchargement sur internet, on trouvera de nombreux exemples de démarches vers le zéro déchet.

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