Le Mexique compte 119 millions d’habitants... dont 12 millions n’ont pas d’accès à l’eau potable. La ville de Mexico est l’exemple le plus frappant de cette situation dramatique : l’agglomération compte 19 millions de personnes, dont 35% ne sont pas connectées au réseau d’eau, et 1,3 million de personnes n’ont aucun accès à une source d’eau potable... Pourtant, un réseau d’eau existe. Mais il est extrêmement vétuste et peu entretenu, avec des fuites importantes. Selon les estimations, le réseau accuse ainsi 40 % de pertes. Cela correspondrait à environ 1000 litres par seconde... Ajoutez à cela le réseau des eaux usées qui fuit lui aussi ,contaminant le réseau d’eau potable et rendant impropre à la consommation le peu d’eau qui parvient jusqu’aux différents foyers. Et vous vous retrouvez avec des mesures d’urgence qui deviennent la norme, comme par exemple dans le district d’Iztapalapa, où 1000 camions-citernes distribuent chaque jour de l’eau pour 2 millions d’habitants...
Bouteilles à la mer
Conséquence de ce manque d’eau potable, le pays détient ainsi le record mondial de consommation d’eau en bouteille, avec une moyenne de 234 litres par an et par habitant. Dans les bouteilles que vous trouvez en magasin, pas d’eau de source ou d’eau minérale. Il s’agit simplement d’eau filtrée et traitée... Bref de l’eau du robinet. Si Danone et Coca-cola sont leaders sur ce marché de l’or bleu, ce sont surtout les milliers d’entreprises de microfiltration qui fournissent cette eau en bouteilles aux populations.
Cette consommation d’eau a des conséquences catastrophiques sur l’environnement. Selon l’organisation Food and Water Watch, 21 millions de bouteilles plastiques sont ainsi jetées chaque année au Mexique. 20 % sont recyclées, le reste terminant dans des décharges, ou simplement dans la nature...
Récolter la pluie
Cela aussi un coût. Dans certaines familles, l’eau représente jusqu’à 20 % des dépenses. Des solutions émergent aujourd’hui pour aider les plus pauvres, notamment les populations indigènes. Ces actions sont souvent menées par des associations ou des structures locales. L’une des solutions les plus simples et les plus avantageuses, c’est la récolte d’eau de pluie. C’est notamment la mission d’une petite organisation, Isla Urbana, créée en 2009 par de jeunes Mexicains. Leur constat était simple : certaines zones telles Tlalpa ou Xochimilco par exemple enregistrent 1000 millimètres de pluie chaque année... et près de 130 000 habitants n’ont pas accès à l’eau. Ils ont donc décidé d’équiper les populations de systèmes de collecte d’eau de pluie, en réduisant les coûts au maximum et avec l’aide de mécènes. Le système, avec séparation des premières pluies et filtration, permet de fournir 50 000 litres d’eau sur l’année. L’installation de ces systèmes de captation est accompagnée de programmes d’éducation et de sensibilisation à l’environnement.
Ces initiatives locales, certes importantes, restent une goutte d’eau dans le problème auquel font aujourd’hui face plusieurs millions d’habitants de Mexico. Sans mesures drastiques pour améliorer l’accès à l’eau au Mexique, la situation déjà dramatique pourrait se transformer en crise majeure. A moins que Tlaloc, le dieu Maya de l’eau, ne vienne en aide au peuple mexicain...
Alain Sousa
Coca-cola mon amour...
Corollaire de ce manque d’eau, ou phénomène indépendant, la consommation de boissons gazeuses a explosé au Mexique. Ce pays est ainsi le premier consommateur au monde de cette boisson sucrée avec l’équivalent de 728 bouteilles de 25 cl par an et par habitant, contre 406 pour les Etats-Unis ou 149 pour la France (chiffres Coca-Cola 2012). Le Mexique consomme à lui seul 42 % de tout le Coca-Cola bu en Amérique Latine...
Il faut dire que la compagnie pratique une politique commerciale très agressive. Outre les publicités omniprésentes, la compagnie propose des demi canettes ou des minis bouteilles à des prix ridicules, pour s’assurer que les populations les plus pauvres ou les enfants avec trois pesos en poche consomment la boisson gazeuse...
Bien sûr cette consommation de Coca-Cola est l’un des facteurs de l’épidémie de surpoids et d’obésité qui frappe le Mexique : 70 % de la population est en surpoids, dont 33 % d’obèses et 13 % de diabétiques...
Outre ces conséquences sur la santé, cette consommation a également un impact dramatique sur les ressources en eau. Car fabriquer un litre de Coca-cola nécessite au moins 2 litres d’eau... Face à ce besoin important, la compagnie a choisi d’implanter ses usines d’embouteillage dans des endroits stratégiques. Elle a ainsi négocié 27 concessions sur tout le territoire pour pomper de l’eau et 8 concessions pour rejeter ses eaux usées. L’une des principales usines se situe ainsi au cœur d’une des régions emblématiques du Mexique : le Chiapas. La compagnie y pompe plus de 100 millions de litres d’eau chaque année. Plusieurs associations dénoncent la catastrophe environnementale et humaine que représente l’usine. La surexploitation de la nappe est non seulement un désastre écologique, mais prive également les populations locales de précieuses ressources en eau...
Si le gouvernement mexicain ne souhaite pas contrarier la multinationale, il a tout de même, face à la pression de la société civile, adopté fin 2013 une taxe sur les boissons gazeuses : 10 % du prix (les associations de consommateurs demandaient 25 %). Avec une majoration d’un peso par litre seulement, le flot de Coca-cola n’est pas prêt de se tarir... AS
Note de la rédaction : Il faut ajouter que le président du Mexique de décembre 2000 à novembre 2006, Vincente Fox était, avant d’être élu, président de Coca-Cola pour l’Amérique latine et salarié de la firme depuis 1964. Il était aussi député depuis 1988.
Pour aller plus loin
• Un excellent documentaire, H2Omx, a récemment mis en lumière les problèmes de gestion de l’eau à Mexico. Voir le site www.h2o.mx.
• Pour en savoir plus sur le problème de Coca-cola au Chiapas, voir le site de l’association Casacollective, www.casacollective.org.
• Pour en savoir plus sur Isla Urbana et la collecte d’eau de pluie au Mexique : www.islaurbana.org.
Alain Sousa, journaliste scientifique, ancien responsable de la communication à la CRII-Rad réalise actuellement un tour du monde à vélo. Après un article pour Silence sur les paysans bio de Fukushima au Japon (n°424 p.38), le voici maintenant sur le continent américain.