Dossier Alternatives Habitat

Et dans la pratique, cela se passe comment ?

Michel Bernard

Après plusieurs discussions avec des animateurs d’habitats groupés, nous avons mis en avant certaines questions qui reviennent régulièrement. Quelques éléments de réponse.

Silence : Lorsque l’on veut travailler avec les collectivités et les bailleurs sociaux, ceux-ci sont plus intéressés par les projets importants. A l’inverse, les banques préfèrent les petits projets, par peur de la défaillance de certains. Concrètement, quelle est la taille des projets les plus modestes et les plus importants ?

Les collectivités, à travers les appels à projet, mettent à disposition des terrains grands ou petits. Souvent, les groupes n’ont guère le choix de la superficie. De leur côté, les bailleurs sociaux, qui rentabilisent leurs opérations à partir de 40 logements, peuvent proposer aux groupes une mise à disponibilité d’environ une quinzaine de logements, par exemple, ce qui est alors une bonne chose. Les familles doivent répondre aux critères des bailleurs, que ce soit en accession ou en location.
Il en existe au moins un, Habitats Solidaires, qui est motivé par ces projets, et qui disposait déjà de l’expérience d’intervention « en diffus », c’est à-dire pour un 1, 2 logement dans des copropriétés, et qui accepte aujourd’hui d’apporter sa compétence technique financière et juridique aux projets d’habitat groupé.
Comme peu de bailleurs se lancent aujourd’hui dans l’aventure, certains terrains peuvent rester sans candidat.
Quant aux banques, le fait est qu’elles se montrent froides pour prêter aux groupes, et cela durera tant qu’elles n’auront pas créé elles-mêmes les outils propres à répondre à ce type de demande. A l’inverse, les appels à l’épargne solidaire se multiplient aujourd’hui.

Même si l’on forme un groupe, un projet à la campagne peut-il être vraiment écologique ? La nécessité de transports pour rejoindre un centre-ville (pour le travail, les commerces, l’école, les loisirs) plombe l’empreinte écologique. Ceci est-il mis en avant lors des débats au sein des groupes ?

Bien que cela se produise parfois, ce n’est pas systématiquement discuté au sein des groupes comme étant un souci prioritaire. Pour la ruralité, il s’agit de faire poids collectivement au sein des villages pour que s’améliorent, au profit de tous, les transports en commun. Nombre de groupes présentent aujourd’hui des projets englobant les dynamiques villageoises, et reflètent souvent une aspiration à un mode de vie allant vers plus d’autonomie rurale et locale.

Transports : témoignage d’Estelle :

Quand nous habitions en ville, j’utilisais à la fois les transports en commun et mon vélo pour le travail, l’école et une partie des courses. Et nous faisions tout de même 20 000 km par an en voiture pour sortir de la ville, nous aérer, ce qui était indispensable le week-end et pour toutes les vacances. De plus, pour nombre de mes déplacements professionnels depuis mon bureau, j’utilisais la voiture.
Depuis que nous habitons à 1 km du centre d’une toute petite ville de 5000 habitants, qu’en est-il de notre foyer (couple + trois enfants) ?
Courses : la plu part du temps à vélo ;
Ecole : 90% des trajets à vélo ;
Collège, lycée : en autocar :
Déplacements professionnels : autocar et train.

Nous avons à présent nettement moins besoin de sorties lointaines le week-end, car la campagne est à portée de main ! Ceci dit, nous faisons toujours nos 20 000 km annuels, pour aller voir les copains des villages voisins, nous soigner, faire nos courses plus inhabituelles et pour nos vacances.
Donc, même bilan carbone côté voiture, mais comme nous vivons dans un habitat au bâti bien plus écologique, et dans un lieu beaucoup moins pollué (air, bruit, lumière), je trouve qu’il est réducteur de dire que l’habitat ne peut être écologique qu’en ville.

Quelles astuces financières peuvent-elles permettre de s’installer pour des groupes socialement peu fortunés ?

La créativité du groupe est le facteur clé. Voici quelques retours d’expériences :

La créativité du groupe est le facteur clé. Voici quelques retours d’expériences :
• appel à l’épargne solidaire : voir l’exemple du Château partagé, à Dullin, avec appel sur les réseaux sociaux (1) ;
• création d’un réseau de proximité : un groupe, par sa dynamique de réseau, obtient un appui moral à consonance locale, parfois aussi des aides financières, des avances sur prestations, ou encore des dons ;
• le soutien entre générations, qu’il soit interne au groupe ou impliquant des personnes extérieures, peut aussi être un facteur important en terme d’apports financiers ;
• opérations mixtes : il s’agit de présenter un projet alliant des logements privés à quelques logements gérés par un bailleur social. Cela peut permettre à un groupe de trouver du foncier plus aisément ;
• l’autoconstruction : possible dès le gros œuvre à la campagne, et pour le second œuvre ou la rénovation en ville comme à la campagne. Par exemple, un groupe peut acheter un plateau à un promoteur, puis réaliser le reste de son projet en autoconstruction :
• à l’échelle nationale, on voit se créer actuellement des outils financiers tels que la SCIC « Cofinançons notre habitat » (2), entre autres...

Il est possible de construire de nouveaux bâtiments, mais existe-t-il des réalisations d’habitats groupés dans un cadre de rénovation de bâtiments anciens ?

On en connaît de nombreux exemples : l’offre immobilière est abondante au niveau des maisons bourgeoises (urbain, périurbain) ou des fermes campagnardes. Ceci contraint souvent les projets à rester d’une taille relativement faible (3 à 6 foyers en moyenne). L’idéal serait d’amener les collectivités à réserver leurs belles opportunités de bâtiments pour les groupes plus importants. A Lyon, on rêverait de voir des bâtis anciens tels que l’ancienne manufacture des Tabacs connaître cette nouvelle affectation.

Qu’est-ce qui distingue le réseau Habitat groupé des autres structures comme Habicoop ou Eco-Habitat groupé, suite du MHGA (3) ?

Le Réseau interrégional de l’habitat groupé (RHG) (4), né en 2006, s’est structuré de manière informelle, avec l’élaboration de sa charte, une répartition géographique sur l’ensemble du territoire national en cinq zones (suivant l’indicatif téléphonique), et la mise à disposition d’outils collaboratifs (liste de discussion, site, lettre d’information, rencontres interrégionales et régionales).
Des différences d’approche sont fréquemment perceptibles au niveau des termes employés pour décrire les formes d’habitat, de projets, ou de réalisations (on parle d’habitat groupé, participatif, partagé ou coopératif, et d’écolieux, écovillages, écohameaux, etc.).
Ainsi, le statut juridique des habitats coopératifs repose sur les deux valeurs fortes que sont la démocratie (1 personne = 1 voix), et la non-spéculation.
Le terme d’habitat participatif (lui aussi souvent employé, notamment au sein de la Coordin’Action) révèle que les diverses associations impliquées souhaitent, par leur travail collectif, porter un message commun et aider les élus et les techniciens en charge du logement sur les divers territoires. L’association Eco-habitat groupé s’appuie sur la visibilité actuelle des habitats groupés construits durant les années 70 à 90.
Quant au Réseau Habitat groupé, il a préféré s’en tenir à ces deux mots, sans autre qualification, pour que s’y reconnaissent le plus de groupes possibles, dès lors qu’ils sont issus d’initiatives habitantes construites autour d’un projet de vie collectif. Pour nous, seul un mouvement fort des habitants peut garantir une participation importante à la conception de leur habitat dans le cadre participatif.

Quels sont les liens, les solidarités entre les anciennes initiatives et les nouvelles ?

Les anciennes réalisations sont des alliés précieux, de par leurs apports d’expériences.
Le RHG a pour vocation de relier tous les divers groupes. Cela favorise les échanges d’expériences. Jusqu’à présent, les solidarités observées se limitent à cette forme de transmission. Ceci dit, il serait bon, vu que les banques ne jouent guère leur rôle, que les diverses forces de la société civile qui sont impliquées parviennent à dépasser ce stade pour développer les futurs outils de finance solidaire.

Existe-t-il des expériences à l’étranger qui ne sont pas reprises en France et qui pourraient nous inspirer ?

Les modèles des cohousing, particulièrement développés depuis plusieurs générations dans les pays nordiques, nous donnent de précieuses indications, en particulier sur la taille souhaitable pour qu’un groupe soit pérenne — 15 à 25 foyers ou logements (5) —, ainsi que sur la proportion raisonnable des espaces communs. Ceux-ci atteignaient 10 à 15 % dans les logements de la première génération ; aujourd’hui, dans les cohousing de quatrième génération, ils se situent souvent dans les 40 à 50%.
Nous avons pu visiter, au Danemark, des lieux où se développent des groupes, sur des terrains que les collectivités ont mis à disposition de l’habitat groupé et réservés à cet effet depuis plus de trente ans. Il s’agit d’importantes réalisations, toujours en développement, où de nouveaux groupes d’habitants continuent de créer l’écovillage.

À l’étranger : témoignage d’Estelle :

J’ai visité Equilibre, près de Genève, et le quartier Vauban, à Fribourg-en-Brisgau ; dans cette ville, j’ai surtout vu des quartiers écolos et de l’autopromotion, plutôt que de l’habitat groupé.
Ce que j’en ai retenu, c’est une autre forme de concertation. La force de la mobilisation, et même une forme d’opiniâtreté qui, concernant le quartier Vauban, a donné lieu à des solutions hyper créatives, une véritable co-création. Par exemple, les aires de jeux pour les enfants : gigantesques, nombreuses, centrales, en bois et conservant des formes naturelles, brutes, installées dans un espace ouvert et vert. Autre exemple, la gestion de l’eau : des drains le long des chemins piétons, des zones semi-pavées et incurvées le long des murs des bâtiments. Ces deux détails permettent au terrain d’absorber lentement lui-même un maximum de l’eau qu’il récolte. Ainsi, le quartier peut accueillir assez de végétation pour que cela créée un microclimat ! J’ai compris que c’était le fruit d’un contexte très particulier, avec, à l’origine, un groupe de militants soudés autour du rejet d’un projet de centrale nucléaire. Cela a donné une forme d’urbanisme inédite pour moi. Adieu les techniciens, bonjour les usagers.
Il y a un enjeu majeur à ouvrir le concept de concertation, d’un processus règlementaire à une acceptation de la richesse des points de vue et expériences de chacun-e, à la co-création.

*Questions collectées par Michel Bernard du côté de Silence

*et réponses collectées par Anne-Françoise Gay pour le Réseau Habitat groupé.

(1) http://lechateaupartage.wordpress.com/category/vous-avez-dit-habitat-partage/
(2) http://scic-cnh.fr/qui-sommes-nous/presentation-de-la-scic
(3) Voir premier article du dossier
(4) www.habitatgroupe.org
(5) Ces données sont à rapprocher de celles des groupes de nomades, qui se divisent lorsqu’ils atteignent 100 à 150 membres, c’est-à-dire quand les membres du groupe ne parviennent plus à tous se nommer directement.

Contact : Anne-Françoise Gay, tél : 04 72 38 26 81, contactsudest@habitatgroupe.org
<af.gay@wanadoo.fr>

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