L’article 40 du code de procédure pénale impose aux agents de la fonction publique d’avertir sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit dont ils auraient connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Mais comment se plier à cette injonction quand aucune loi ne protège l’intéressé de sa hiérarchie et que tout dépend donc du courage et de l’intégrité de cette dernière ? C’est dans cette situation paradoxale que s’est retrouvée Nicole Marie Meyer, diplomate alors en poste en Afrique, après avoir rendu un rapport factuel sur les malversations qu’elle avait constatées dans son service (absence de comptabilité, de contrats de travail — 65 agents dont certains employés depuis plus de quinze ans —, d’assurances, présomption de détournement de fonds, etc.). Tandis qu’elle met en place les structures administratives et financières dont elle a constaté le manque, l’ambassade bloque son rapport, ouvre un dossier disciplinaire à son encontre (abandonné faute d’éléments), et demande son rapatriement (offrant « un rapatriement sanitaire »). Paris met fin à sa mission, elle est placardisée.
La deuxième et dernière salve vient lorsque, étant parvenue à retrouver une mission sur un poste européen important, elle constate à nouveau des délits (faux et usage de faux, abus de biens sociaux). La note confidentielle qu’elle fait parvenir à sa hiérarchie est bloquée. Il lui est demandé de réécrire son rapport, ce qu’elle refuse. Elle finira par le transmettre à l’inspection générale et en rencontrer des membres. Son contrat — car elle est agent contractuel —, ne sera pas renouvelé. « Le sol s’ouvre sous mes pieds. »
Une première victoire personnelle au goût amer
Si elle obtient jurisprudence en 2007 pour le non-renouvellement de son contrat, que l’Etat ne peut justifier vu ses excellentes évaluations, et fait condamner ce dernier « pour détournement de pouvoir », obtenant également des indemnités pour préjudice moral, l’absence d’une loi ne lui permet pas d’obtenir sa réintégration. Le détournement de pouvoir est « le fait [pour] une autorité administrative qui, tout en accomplissant un acte de sa compétence, tout en observant les formalités prescrites, tout en ne commettant aucune violation formelle de la loi, [d’]use[r] de son pouvoir pour des motifs autres que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été conféré, c’est-à-dire autres que la sauvegarde de l’intérêt général et le bien du service ». Il est par conséquent extrêmement difficile d’en apporter la preuve, mais les rapports de Nicole Marie Meyer sont très explicites (le juge parlera de vengeance personnelle). Le détournement de pouvoir s’avère être une brèche intéressante pour les lanceurs d’alerte, comme l’a montré un jugement récent du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui vient de rétablir à son poste une directrice d’un office public d’habitat qui avait dénoncé les manquements aux règles de passation des marchés publics commis par un de ses subordonnés, et avait en conséquence été révoquée de ses fonctions pour motif disciplinaire. Mais, entretemps, la loi du 6 décembre a été votée, qui permet cette réintégration.
Comme la plupart des lanceurs d’alerte, au moment où ses repères s’effondrent les uns après les autres, Nicole ne connaît pas le terme « lanceur d’alerte ». Elle est atterrée par ses collègues, qui lui adressent comme un reproche le conseil navrant de se taire et de ne pas s’engager dans un combat perdu d’avance. Les valeurs qu’elle porte sont balayées par une présumée raison d’Etat où elle ne voit que lâcheté, démission et faillite du service public. Son éviction est l’élément déclencheur d’une série de réflexions autour de l’intérêt général car elle prend conscience qu’elle n’est assurément pas un cas isolé (voir le dossier Cahuzac). Par le biais de la CFDT Cadres, qu’elle contacte après la publication d’un article sur l’alerte professionnelle, elle rencontre des administrateurs publics sanctionnés pour des raisons similaires. L’amorce d’un réseau d’entraide qui en découle lui permet de commencer sa reconstruction.
Du lancement d’alertes à la défense des lanceurs d’alerte
Le tournant arrive en 2008, quand elle entre en contact avec Transparency International France (TIF), ce qui la conduit à développer une expertise sur la corruption et à devenir progressivement le fer de lance de cette ONG autour des questions d’alerte. Elle mènera un travail considérable à dater de 2009, qui se matérialisera notamment par un Guide des principes directeurs pour une législation de l’alerte (TIF en partenariat avec les grandes fondations de lanceurs d’alerte), un rapport sur l’alerte éthique française, fin 2012, dans lequel elle énoncera des recommandations issues de l’analyse des législations étrangères, et une coordination des organisations en faveur du droit d’alerte. Enfin, en 2013, son travail de plaidoyer contribuera significativement à l’intégration de dispositifs juridiques de protection des lanceurs d’alerte dans les lois de 2013 (voir l’article « Historique et lois »), dont la loi du 6 décembre, qui protège désormais le signalement des « crimes et délits », cœur de son combat depuis 2009.
Pour autant, la situation de Nicole Marie Meyer, qui est portée — pour ne pas dire transportée — par son combat pour les lanceurs d’alerte, reste très précaire. Son poste à TIF, faute de moyens suffisants, est loin d’être pérennisé. Si l’on considère que soixante pays dans le monde ont adopté un droit d’alerte, protégeant en premier lieu leur fonction publique, on peut s’interroger sur cette exception culturelle française, qui nous a fait commencer par protéger le salarié du secteur privé, et fait payer un tel prix aux agents publics intègres.