Trois Questions Monde Paix et non-violence

Conflit en Ukraine : 3 questions à Bernard Dréano

1 - Le conflit actuel en Ukraine marque-t-il une forme de reprise de la guerre froide USA/UE contre la Russie, 25 ans après la chute du mur de Berlin ?

Non, ce n’est pas la reprise du passé. De 1947 à 1989, l’ « Est » et « Ouest » s’affrontaient, du fait de rivalité de grandes puissances mais surtout d’idéologies et de modèles antagoniques : le « camp socialiste » contre « le monde libre ». Aujourd’hui, grosso modo, toute la planète vit dans un même univers globalisé et capitaliste. Certains États ont des ambitions, sinon toujours les moyens, d’affirmer leur puissance par leur « hard power » politico-militaire ou leur « soft-power » économico-culturel. Ces rivalités ne provoquent pas (pas encore ?) d’affrontements militaires inter-impérialistes comme au début du 20e siècle, et il n’y a pas de rivalité frontale entre blocs. La Russie, héritière du passé tsariste et soviétique, aspire à retrouver un statut de grande puissance, en utilisant les moyens dont elle dispose (exportations d’hydrocarbures, capacités militaires), et en intervenant essentiellement dans son étranger proche.
Bien sûr, quand il y a un conflit quelque part, des pays voisins ou lointains peuvent y intervenir, défendre leurs clients, contribuer à l’aggravation des choses. Mais ces interventions ne sont pas les causes initiales de ces conflits, ces « guerres de dislocations » décrites par la chercheuse anglaise Mary Kaldor (1). Des conflits qui ont beaucoup à voir avec la gestion néolibérale du monde et ce qu’elle entraîne, la délégitimation des États, la destruction des solidarités, les inégalités. Pour autant le terrain yougoslave hier, syrien ou du Donbass aujourd’hui, ne sont pas de simples cases d’un échiquier mondial ou s’affronteraient des super-joueurs. Ces conflits résultent de la combinaison de phénomènes mondiaux et locaux (conditions politiques, sociales, historiques) qu’il faut comprendre et affronter si l’on veut maintenir ou rétablir la paix.
Dans le cas Ukrainien la rhétorique de la guerre froide est utilisée dans les propagandes, de part et d’autre, mais ce n’est pas la seule. La propagande poutinienne et séparatiste fait aussi référence à la « grande guerre patriotique » face à un pouvoir Ukrainien « quasi-nazi », et à la défense des valeurs chrétiennes « contre l’Occident décadent », du côté du gouvernement de Kiev on parle « de lutte antiterroriste », et les occidentaux accusent Moscou de mener une guerre « hybride » perverse !

2 - En Ukraine, voire en Russie, quelles sont les démarches issues de la base qui agissent en faveur d’une désescalade des affrontements ? Quelles sont les solutions possibles ?

L’annexion de la Crimée par la Russie, puis la guerre au Donbass, ont provoqué une radicalisation « patriotique » des opinions. En Russie où la popularité de Poutine est à son zénith et le nationalisme omniprésent, comme en Ukraine, où les revendications de démocratie et anti-corruption ont laissé place à « l’union sacrée contre l’agression ». Il ne faut pas croire pour autant que les peuples soient prêts à une guerre totale. Mais les aspirations à la paix des gens ne se traduisent pas (pour le moment), par des mouvements capables de faire taire les armes. En Russie, ceux qui ont manifesté contre la guerre (notamment le 21 septembre 2014 à Moscou) sont traités de traîtres. Il y a toujours des échanges entre mouvements des sociétés civiles des deux pays, des mouvements qui dénoncent les ravages du chauvinisme, et les atteintes aux droits humains. En Ukraine, des ONG agissent face aux effets de la guerre en particulier pour les personnes déplacées (cf. par exemple le No Border Project du Centre d’action sociale de Kiev).

3 – Quelles sont les actions que les peuples européens peuvent faire pour aller vers une résolution la moins violente possible de ce conflit et en éviter d’autres demain ?

D’abord on peut soutenir les forces civiques ukrainiennes et russes dans leur travail de terrain et aussi en les aidant à se rencontrer, en relayant leur expression, comme par exemple cela a été fait lors de l’Événement de paix de Sarajevo en juin 2014 ou de l’Université européenne des mouvements sociaux d’ATTAC à Paris en août, en Géorgie en septembre ou à Bâle en décembre ; et aussi diffuser l’information indépendante et contrer les propagandes bellicistes.
Les interventions militaires extérieures doivent cesser (en clair l’armée russe n’a rien à faire à Donetsk). L’Ukraine pacifique et démocratique ne peut naturellement pas se construire demain en hostilité avec ses voisins et cousins de l’Est ou de l’Ouest, et doit sur le plan intérieur transformer le féodalisme oligarchique actuel en véritable système démocratique fédéral.
Enfin, constatons que l’OSCE, l’organisation créée en 1989 pour gérer les conflits et garantir la sécurité en Europe, a été dès sa création, minorée (que l’on compare à l’OTAN !) et privée des moyens de jouer son rôle de lieu de négociations, ou de force d’interposition (par exemple pour faire respecter un cessez le feu).

Quelques adresses pour en savoir plus
• Assemblée européenne des citoyens, 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris, aec@reseau-ipam.org, http://www.reseau-ipam.org/aec
• No border Ukraine : http://noborders.org.ua
• Russie Liberté (Paris) http://russie-libertes.org
• Fédération internationale des droits de l’homme : https://www.fidh.org

(1) Mary Kaldor est auteure de nombreux ouvrages en anglais : Golbal Civil Society : an answer to war, New & Old Wars : Organized Violence in a Global Era…

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