Reinhard Treder, sa compagne Maria et son fils arrivent dans la région en 1983 après quelques expériences communautaires antérieures. Les premiers terrains sur lesquels ils s’installent leur sont prêtés. Ils ne sont pas constructibles car ils se trouvent dans l’axe de l’aéroport de Figari Sud-Corse : des avions passent bruyamment régulièrement au-dessus de leur têtes. « Deux univers cohabitent, mais un seul connaît l’existence de l’autre ».
D’énormes éboulements de granit ont laissé, en bordure des champs, un paysage chaotique avec quelques grottes. C’est dans ces grottes et quelques cabanes que s’installent différentes personnes, au départ majoritairement allemandes. Le nombre de personnes qui vit sur place varie avec le temps et selon les saisons (pas plus d’une douzaine au creux de l’hiver).
Après quelques années de tâtonnement, en 1994, le groupe décide de fonctionner en communauté et de partager ses ressources : il s’agit de « bien vivre ensemble dans le partage des biens ». Ils défrichent et mettent en culture plusieurs potagers dissiminés entre les blocs de granit, et entretiennent quelques prairies pour une surface totale de 8 ha. Leur vie est sobre : ils ont l’eau courante mais pas l’électricité. Quelques activités externes à la communauté permettent de disposer du peu d’argent que nécessite un tel mode de vie.
Une communauté paysanne
La situation du foncier au départ est assez floue. Une procédure est engagée contre eux qui se terminent par une expulsion en 2008. Il est heureusement possible de se réinstaller sur une parcelle voisine et la générosité des habitants des villages, des voisins et de l’association Droits Paysans (1) leur permet de reconstruire un lieu de vie paisible.
Aujourd’hui, six personnes vivent sur place à l’année. Reinhard Treder, âgé de 73 ans, est la mémoire du lieu. Andy, paysagiste, allemand, 46 ans, travaille à l’extérieur et vit ici depuis 7 ans. Jule, allemande, 34 ans, avec son fils Kisaja, 12 ans se sont installés il y a quatre ans. Elle est apprentie chamane et seule végétariene. Elise, 30 ans, et Romain, 29 ans, en couple depuis sept ans, sont arrivés en février 2014 initialement pour un stage en wwoofing (2) et ont décidé de rester. Elise développe une activité de bijouterie. Les conversations se tiennent en français, allemand et anglais.
Des cercles de parole se déroulent une fois par semaine. C’est l’occasion de dire son humeur, de parler de ce qui fonctionne et de ce qui coince, d’organiser le planning de travail. Les repas sont un autre moment collectif. Sinon, chacun dispose de temps et d’espace privés.
Tous les travaux agricoles sont faits à la main : fauchage du foin, tonte des brebis, préparation du sol et des espaces de culture, bois de chauffage, moulure du grain pour la farine et fabrication hebdomadaire du pain… Les chantiers les plus importants, comme le nettoyage de la bergerie ou le défrichage d’une nouvelle parcelle, se font collectivement.
Randonner, aller à la rivière, à la plage, faire du bâteau sont aussi des moments collectifs.
Ici, la notion de « travail » n’a pas de raison d’être : il y a des tâches à faire, tous les jours. Il n’y a pas de vacances, car peut-être le sont-ils tout le temps.
Une vie entre les arbres et les rochers
Il y aujourd’hui des cabanes, une yourte, une caravane et une kerterre (3). Kisaja dispose de sa propre cabane perchée dans un arbre. Jule, sa mère, vit dans la yourte en hiver et dans une grotte en été. Une cabane sert de salon et de cuisine pour tous, les autres ont des chambres privées.
Outre les 8 ha dont il est officiellement locataire, le groupe entretient près de 50 ha de prairies et y garde des troupeaux de brebis et de vaches. Au fil des ans, les sols des potagers ont été enrichis et les arbres fruitiers se sont multipliés, offrant quantité de fruits. Une cave permet le stockage de nombreuses conserves pour passer la saison hivernale. Les essaims d’abeilles ont été détruits par le varroa et ils vont essayer de recommencer à implanter des ruches. Dans le temps, le nombre de bêtes (brebis, canards, poules) a varié.
On observe quelques concessions à la technique moderne : un capteur photovoltaïque permet de recharger un téléphone portable. Un groupe électrogène au fuel alimente quelques machines-outils spécialisées, dont un tour à bois. Andy est le seul à disposer d’un véhicule à moteur.
L’expérience montre qu’une vie simple, en lien avec la nature, est possible. « Le monde du bruit et de la vitesse a permis localement le maintien d’un monde lent et silencieux, entre deux avions » (4). Il y a toutefois une grande différence d’activités entre l’été, riche en visites, et l’hiver, qui reste rude. L’expérience a su se renouveler au fil du temps et est toujours prête à accueillir de nouveaux volontaires.
M. B.
• Francischu, route de Bonifacio, 20131 Pianottoli-Caldarello, tél : 06 47 46 23 99