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Corse : Aliméa, les pomélos poussent dans la plaine

Michel Bernard

Après la guerre, les plaines marécageuses de l’est de la Corse ont été drainées et de nombreuses exploitations agricoles ont vu le jour, en particulier avec l’arrivée des pieds-noirs d’Algérie dans les années 1960. Certains d’entre eux ont fait le choix de l’agriculture biologique, avec succès.

En 1986, quelques agriculteurs biologiques, adhérents à Nature & Progrès (1), décident de travailler ensemble pour la commercialisation de leurs productions. A sept producteurs, le minimum légal pour demander le statut coopératif, ils créent Aliméa, d’après le mot qui signifie « cédrat » en corse (2). Les premiers coopérants produisent des noisettes, des clémentines, du miel, des légumes… Avec l’apparition du label bio de l’Union européenne en 1992, Nature & Progrès Corse connaît une baisse de régime, et la coopérative adopte le cahier des charges européen.
Progressivement, le nombre de producteurs augmente pour atteindre 33 aujourd’hui. Il s’agit de petits producteurs : leurs terres additionnées ne couvrent que 113 ha (3). La première production est aujourd’hui le pomélo, qui n’est cultivé en Corse que depuis les années 1990. Ce fruit, proche du pamplemousse, occupe aujourd’hui une part prépondérante. La coopérative en commercialise 800 tonnes par an. En poids, viennent ensuite les clémentines (400 t). Sur les conseils de l’Institut national de recherche agricole (INRA), diverses variétés ont été introduites, mais pas toujours avec succès (ce qui marche avec des traitements chimiques ne marche pas forcément en bio). Ensuite, il y a les oranges (50 t) dont les ventes baissent à cause d’un coût de production ne permettant pas des marges viables (4), les noisettes (30 t) puis, en plus petites quantités, les citrons, citrons verts, avocats, kumquats (agrume moins connu originaire d’Asie), kiwis, cédrats, et amandes. Les produits sont triés, emballés et expédiés le plus rapidement possible pour la consommation. Ils ne sont pas traités pour la conservation.

Pollutions possibles

Pour assainir les marais, la Corse a bénéficié de l’aide des Etats-Unis, qui n’y sont pas allés de main morte : tout a été démoustiqué au DDT dans les années 1950. Même si ce produit est interdit depuis maintenant plus de 40 ans, on en trouve encore des traces dans les analyses du sol, mais pratiquement pas, heureusement, dans les fruits.
Après Tchernobyl, Aliméa a su que le nuage radioactif avait touché surtout l’est de l’île, où se trouve l’association. Des analyses et un suivi ont été réalisés pendant plusieurs années par la CRII-Rad (5). Cela a conduit au refus de vendre des noisettes durant l’hiver 1986-1987, la présence de radioéléments étant trop importante. Mais par la suite, les analyses sont devenues plutôt rassurantes. Même s’il existe encore quelques taches de radioactivité dans l’île aujourd’hui, les analyses donnent des mesures largement en-dessous des normes, au niveau de la production.
Le réchauffement climatique modifie la présence des insectes. La lutte biologique s’est développée au sein des vergers bio (6). On craint que, pour faire face à une invasion, les autorités n’ordonnent un traitement généralisé comme cela s’est produit sur le continent (7).

Des normes contraignantes

Le transport des fruits est réglementé par de nombreuses normes qui en restreignent la vente : ils doivent atteindre des calibres donnés, ne pas avoir trop de défauts… Ceci conduit à un taux de rejet important. Il existait une certaine tolérance pour les produits biologiques, mais la filière grossiste et magasins, qui fait face aux contrôles de la DDCSPP (ex-Répression des fraudes) impose actuellement toujours plus d’homogénéité.
Il y aussi un problème avec les clémentines précoces dont les quartiers sont mûrs alors que la peau reste partiellement verte : les consommateurs pensent qu’elles doivent être orange brillant pour être mûres, idée renforcée par les producteurs chimiques, qui traitent avant récolte avec des produits de déverdissage pour obtenir la couleur désirée. Or, le réchauffement climatique est sensible ces dernières années en Corse : les agrumes mûrissent plus vite à l’intérieur, et il est donc de plus en plus fréquent que les clémentines, même mûres, gardent une peau verte.
Les fruits hors normes sont consommés localement. Il y a une réflexion en cours pour développer cette vente locale (paniers, marchés…).
Le transport est lui aussi soumis à des normes : avec la multiplication des emballages et la réduction de la taille des cagettes (6 kg au lieu de 10 kg), les capacités de chargement des camions ont baissé de 5 % par palette. Cela augmente à la fois le prix des fruits et le volume des déchets.
Les débouchés sont assurés par des grossistes en bio.

Recherche d’une juste rémunération

Deux salariées assurent le suivi des commandes et la distribution des produits auprès de quelques magasins sur l’île, mais le plus gros est expédié vers le continent.
Contrairement aux coopératives classiques, le prix d’achat aux producteurs n’est pas convenu d’avance ni soumis à une variation selon la date de production (les primeurs étant payés plus chers) et selon la quantité. Ici, la coopérative assure l’ensemble des opérations liées à la commercialisation, paie l’ensemble des frais, puis ce qui reste est réparti en fonction des quantités, à égalité entre les producteurs, petits ou gros. Des acomptes sont versés au fur et à mesure de la commercialisation, et le reste, une fois les comptes clos.
Comme les récoltes varient d’une année sur l’autre en fonction des aléas climatiques, cette méthode assure une certaine solidarité entre producteurs. Globalement, cela reste modeste : beaucoup d’entre eux ne gardent même pas un SMIC quand leurs ouvriers agricoles sont payés.
Ces derniers, saisonniers, ont longtemps été des immigrés venus du Maghreb et vivant localement. Au début des années 2000, une nouvelle vague est arrivée d’Europe de l’Est. Aujourd’hui, de plus en plus de demandes viennent des villes corses, crise économique oblige.

Relocalisation ?

En septembre, lors de notre passage dans un magasin bio, nous avons trouvé des citrons bio d’Argentine. Si la Corse produit des citrons, les variétés sont saisonnières et ne peuvent assurer la totalité des besoins sur l’année. Il existe des variétés qui produisent toute l’année… mais le climat corse, bien que doux, n’est pas encore assez chaud pour les cultiver.
Pour les autres fruits, ce sont les consommateurs qui poussent à leur commercialisation tout au long de l’année. Cela ne pose pas de problème pour les fruits secs, mais il est évidemment impossible de produire toute l’année des fruits frais.
La volonté de l’Etat de développer encore et toujours le tourisme contribue à augmenter ce déséquilibre entre production et consommation.
Ceci explique que l’essentiel de la production saisonnière d’Aliméa est destinée à l’exportation en dehors de l’île.
Dans un secteur économiquement fragile, Aliméa essaie de maintenir un fonctionnement coopératif le plus solidaire possible. Solidarité qui peut permettre d’innover et de trouver des solutions.

M. B.

• Coopérative Alimea,
Bravone, 20230 Linguizzetta, tél : 04 95 38 88 74, http://www.alimea.fr

(1) Nature & Progrès vient de fêter ses 50 ans. Nature et Progrès, 13, boulevard Louis-Blanc, 30100 Alès, tél : 04 66 91 21 94, http://www.natureetprogres.org
(2) Le cédrat est la plus vielle espèce d’agrume cultivée en Méditerranée (arrivée par la route de la soie pendant l’antiquité). Il ressemble à un énorme citron grumeleux.
(3) On reste loin de la surface d’un céréalier de la région parisienne.
(4) Concurrencées par les produits espagnols et marocains.
(5) CRII-Rad, 29, cours Manuel-de-Falla, 26000 Valence, tél : 04 75 41 82 50, www.criirad.org
(6) Utilisation d’hormones d’un sexe pour piéger les insectes de l’autre sexe dans de la glue par exemple.
(7) Voir, par exemple, le procès du viticulteur Emmanuel Giboulot (Silence no 422).

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