Brève Dossier Alternatives Esperanto

Langues et identités

Marion Durand

Mon identité ? Qui suis-je ? Moi ? Française, femme, journaliste, parlant espagnol, judokate… Une identité plurielle, et mouvante qui plus est. La langue que je parle, mon accent, mes expressions, reflètent cette identité et portent mon image auprès de celles et ceux qui croisent ma route. Ma langue construit mon identité.

Cette langue française ne se trouve pas dans ma bouche par hasard ; elle s’inscrit dans mon parcours identitaire, mais aussi dans l’histoire et la politique. Toute langue possède un statut social ; sur un territoire, différents idiomes coexistent avec des statuts différents.
Le français est juché au sommet de la hiérarchie des langues de notre pays. Utilisé dans l’administration, la communication et l’enseignement, il est perçu comme utile, standardisé et moderne. Au quotidien, il peut côtoyer des langues régionales, souvent considérées comme de sombres patois ou de tristes dialectes, passéistes, sans utilité ni grammaire.
Comme dans de nombreux cas de domination avérée, cette hiérarchisation est présentée comme tout à fait naturelle. Indiscutable. Et le français glottophage (1) digère petit à petit toutes les langues dominées.

Parce que sa langue et son identité sont construites ensemble, le locuteur de la langue dominée se trouve complètement dévalorisé.
Sa réaction peut alors prendre plusieurs formes : il peut éprouver de la haine envers lui-même et rejeter sa langue et sa culture. Il peut aussi rester apathique et s’abstenir de toute prise de position. Ces attitudes favorisent le maintien de la domination.
D’autres individus entrent en résistance pour faire vivre leur langue face à l’ethnocide programmé. On associe généralement la lutte à un repli identitaire, passéiste, à un enfermement. Toute situation comporte sa part de risque. Et des excès nationalistes exclusifs peuvent parfois se lier à la défense d’une langue. Pour évincer l’autre, on simplifie son identité et on l’enferme dans cette réduction de lui-même. "Vous ne parlez pas corse ? Vous vous croyez en terre conquise, ici ?" Et mon interlocuteur me ramène à l’image d’une touriste ignorante et colonisatrice. Pourtant, sans parler corse, j’ai de multiples identités et m’enfermer dans une seule revient à ne pas appliquer la tolérance que l’on réclame pour soi-même !

On nous cause de compétences linguistiques… Parler français, anglais, catalan ou mandarin. Mais parler ne suffit pas. Car ce qui compte, finalement, c’est l’apprentissage de la tolérance linguistique. Savoir accorder une valeur égale à toutes les variétés de langue. Et savoir aussi reconnaître et revendiquer pleinement plusieurs appartenances, sans pour autant le vivre comme un déchirement.
Facile à dire…

Marion Durand

La langue comme marqueur d’identité, Jacqueline Billiez, Revue européenne des migrations internationales, décembre 1985 - Téléchargeable sur http://www.persee.fr
La société plurilingue : utopie souhaitable ou domination acceptée ?, Marinette Matthey et Jean-François De Pietro. Cet article a paru dans l’ouvrage Plurilinguisme : « contact » ou « conflit » de langues ? d’Henri Boyer, aux éditions L’Harmattan (1997), et est téléchargeable sur http://lesla.univ-lyon2.fr/.
Les Identités meurtrières, Amin Maalouf, Grasset, 1998

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