C’est à la Bourse du travail, à Paris, bureau 513, que siège Sylvie Fofana, la secrétaire générale du Syndicat national des auxiliaires parentales (UNSA/SNAP), les nounous qui exercent au domicile des familles.
Au chômage, Sylvie s’en occupe bénévolement. Quant à ses ressources, « Dieu y pourvoira » (…) « Je ne peux plus trouver de travail, estime-t-elle. Car je suis celle qui met des choses dans la tête des nounous ». Des choses ? Prétendre aux droits de n’importe quel salarié.
Elle s’exprime avec une assurance sereine. Disposer d’un bureau dans ce temple du syndicalisme, « c’est une belle reconnaissance. Que de chemin parcouru ». Avec un sens consommé du récit, elle revient sur cet itinéraire.
« Une responsabilité inouïe »
Sylvie est originaire de Côte d’Ivoire. Là-bas, elle travaille auprès d’un pharmacien qui la renvoie à l’annonce de sa grossesse. Elle se consacre alors à l’éducation de ses enfants. Cependant, la jeune femme veut étudier et gagner sa vie. Elle s’envole donc pour la France, seule, et entreprend de passer un baccalauréat professionnel en secrétariat. Le projet avorte lorsque son oncle la jette dehors. « Je dormais à gauche et à droite, j’étais presque SDF ». Pour obtenir un logement, elle accepte le seul emploi qui lui offre un contrat à durée indéterminée : auxiliaire parentale. Nous sommes en 1995. Elle exercera le métier pendant dix-sept ans.
Ce travail use le corps et les horaires sont très longs – 50 heures par semaine en moyenne. Sylvie accompagne les premiers pas, les premiers mots, etc. « C’est ce qui m’a fait tenir. Il n’y a pas plus beau que le sourire d’un enfant », s’enthousiasme-t-elle. À côté de ces bonheurs, « la responsabilité que l’on a sur le dos est inouïe. Car un accident est vite arrivé. Quand tout s’est bien passé, on se dit : ’Gloire à Dieu’. Tous les jours, tous les jours ». Sa voix se mue en un murmure. « Il faut prendre conscience de cela et valoriser, respecter ces femmes. Or, beaucoup ont honte de pratiquer cette profession et sont considérées comme des bonniches ».
Qui plus est, cette activité se déroule souvent à l’abri des regards. Sans contrôle. Et si elle reconnaît avoir eu des patrons « formidables », Sylvie est aussi maintes fois exploitée. Par fatalisme, elle ne se révolte pas. Puis un jour de 2009, c’est l’étincelle.
35 adhérentes en 2010, 2300 aujourd’hui
Sylvie travaille pour « une gosse de riches » depuis dix mois. Une mauvaise surprise l’attend à son retour de vacances : « Vous ne correspondez plus aux critères de la nounou, l’informe-t-on. Nous voulons une personne qui fasse le ménage ». « Mais cela ne figurait nulle part dans mon contrat ! », s’insurge-t-elle. « C’était un licenciement déguisé ». Sylvie brandit la menace du tribunal. « C’était la première fois de toute ma carrière que j’osais prononcer le terme ’prud’hommes’ ». Son employeuse lui concède un mois de salaire, à condition qu’elle renonce à une action en justice. « J’accepte, mais je m’en vais avec le cœur gros ».
Le feu couvait, l’incident allume la mèche. « J’ai pensé : plus jamais ça. Je ne veux plus jamais donner l’occasion à quelqu’un de se foutre de moi ou de se foutre d’une autre personne qui laisse ses enfants pour aller s’occuper des enfants des autres ». Elle lance alors un appel à des collègues : « Et si on s’organisait ? ».
Le 17 octobre 2010, Sylvie fonde l’Association des nounous d’Île-de-France. De réunion en réunion, « c’est devenu un ’’parloir’’. Les filles venaient raconter leurs misères ; c’était un défouloir ! ». Deux ans plus tard, l’association évolue en syndicat. La secrétaire générale arpente les squares pour inciter les nounous à se syndiquer. La tâche n’est pas aisée. « Elles pensaient que j’allais leur faire perdre leur emploi ». Créé avec 35 personnes, le syndicat compte aujourd’hui 2300 adhérentes en Île-de-France.
Sans locaux, Sylvie reçoit d’abord les nounous chez elle après son travail. Parfois jusqu’à 23h. Rapidement, elle entre dans le giron de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) et trouve sa place à la Bourse du travail. « Je ne voulais pas que l’on reste isolées. Il fallait un réseau pour nous faire aider dans notre lutte ».
« Nous sommes désorientées et les employeurs aussi »
Congés non payés, auxiliaires parentales filmées à leur insu ou épiées dans les parcs, heures supplémentaires ni rémunérées, ni déclarées, l’ouvrage ne manque pas. La cause de ces abus ? Un manque d’encadrement de la profession et des employeurs parfois mal informés. « Nous sommes désorientées et eux aussi. Une femme m’a appelée en pleurs car sa nounou s’était mise en arrêt maladie, alors qu’elle l’avait vue faire la fête sur son compte facebook. Je suis là aussi pour conseiller les employeurs ».
Féministe, humaniste, indignée
En parallèle, Sylvie mène encore une autre bataille. Membre du Laboratoire de l’égalité, elle est une féministe ’revendiquée’.
En 2011, elle a créé l’ONG Woroba, en Côte d’Ivoire, qui milite notamment pour la scolarisation des petites filles. Aujourd’hui, Sylvie cherche des livres et des fournitures scolaires pour son ONG.
Féministe, humaniste, indignée, Sylvie tient à rendre sa vie exemplaire : « Si chacun de nous donne de son temps pour la justice des opprimés et des moins forts, le monde sera un paradis ».
Emilie Lay
Histoires Ordinaires
Assistant(e)s maternel(le)s et auxiliaires parentales exercent la même profession. Les différences portent sur le lieu d’exercice – à leur domicile pour les assistant(e)s maternel(le)s, au domicile des parents pour les auxiliaires parentales – et le statut.
Un(e) assistant(e) maternel(le) doit impérativement obtenir un agrément, délivré par les conseils généraux et complété par une visite d’évaluation à domicile.
Aucun diplôme ni formation ne sont exigés pour les auxiliaires parentales. Elles sont soumises à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur, qui s’applique aux emplois ménagers, assistants de vie pour personnes âgées, etc.
Le Syndicat national des auxiliaires parentales (UNSA/SNAP) encourage la formation des nounous, réclame la mise en place d’une convention collective unique pour les accueillantes d’enfant et le passage aux 35 heures, contre 40 actuellement.
A lire
Qui gardera nos enfants ? Caroline Ibos, éd. Flammarion, 2012, 288 pages.
Créé en 2010 par un ancien grand reporter à Ouest France, Histoires Ordinaires est un site internet d’information doublé d’une lettre web hebdomadaire et d’une maison d’édition, animés bénévolement, dont « la seule et modeste ambition est de parler des hommes et des femmes qui améliorent de mille façons notre foutue condition humaine ». Contact : Histoires Ordinaires, 39, rue Lobineau, 35000 Rennes, www.histoiresordinaires.fr.