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Centrale au bois : halte à la biomascarade !

Nicholas Bell

Le bois, une énergie renouvelable ? Oui, mais dans certaines limites. Les projets actuels de centrales thermiques au bois risquent de provoquer un épuisement rapide de la ressource bois-énergie. Le cas de l’entreprise allemande E.ON de reconversion de la centrale électrique à charbon à Gardanne, près de Marseille, est le plus contestable (1).

C’est en octobre 2011 que la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, et le ministre de l’Industrie, Eric Besson, ont approuvé quinze projets de mégacentrales qui brûleront de la biomasse.
La centrale E.ON, la plus importante, aura besoin d’environ 900 000 tonnes de bois par an, dont la grande majorité sous forme d’arbres coupés afin d’être brûlés pour produire de l’électricité. Le projet étant prévu sans cogénération — couplage de productions d’électricité et de chaleur — le rendement ne dépassera guère 30 %. Ce qui signifie que 70 % des arbres ne serviront qu’à chauffer le ciel et polluer la région.
Pendant les dix premières années de fonctionnement, la moitié du bois sera importée, sans doute du Canada. C’est grâce à des rapports détaillés, publiés par des associations britanniques, canadiennes et américaines, que nous avons commencé à mesurer l’échelle de la catastrophe (2).
Le projet d’E.ON à Gardanne fait partie d’un nombre considérable de conversions « charbon vers biomasse » en Europe. Au Royaume-Uni, où les centrales à charbon sont parmi les plus polluantes d’Europe (3), plusieurs centrales à charbon qui ne respectaient pas les exigences de la Directive européenne sur les grandes installations de combustion (4), à cause de leurs fortes émissions de dioxyde de soufre (SO2), ont été ou seront converties à la biomasse. Les transformations déjà autorisées au Royaume-Uni auront besoin de plus de 50 millions de tonnes de bois par an, soit plus de cinq fois la production annuelle des forêts du pays (5).
Les conversions « charbon vers biomasse » sont au cœur de la politique britannique sur les énergies renouvelables. Il est donc évident que les autorités britanniques et les industriels du secteur comptent sur des importations massives de bois, en général sous forme de pellets (6).

Pillage en Amérique du Nord

Nicolas Mainville, directeur de Greenpeace Québec, a écrit sur son blog : "J’étais de passage en Europe la semaine dernière, entre autres pour rencontrer des représentants et députés du Parlement européen. Objectif : tenter de faire changer les politiques énergétiques européennes qui encouragent (et même subventionnent) la combustion de bois pour remplacer le charbon dans les grandes centrales thermiques. Les forêts européennes ne pouvant suffire à la demande grandissante des géants énergétiques (GDF-Suez, RWE, DRAX, Vattenfal, E.ON, etc.), ces grands producteurs d’électricité ont de plus en plus recours au bois des forêts canadiennes et américaines. Utilisant initialement des sciures et des résidus industriels, les producteurs de granulés canadiens doivent maintenant se tourner vers la forêt pour suffire à la demande.
(…) Le Port de Québec a donné son aval à l’entreprise Arrimage Québec pour construire un terminal et permettre l’exportation de 75 000 tonnes de granulés annuellement à destination d’une immense centrale thermique de 4000 MW appartenant à DRAX en Angleterre. Or l’opposition de la population locale est palpable et l’acceptabilité sociale de ce projet est loin d’être acquise, sachant que Drax brûlera plus de 7 millions de tonnes de bois annuellement dès l’an prochain. Les granulés qui passeront par le Port de Québec proviennent d’arbres de la forêt ontarienne abattus et broyés par Rentech Inc., une entreprise californienne en pleine expansion dans le monde de la bioénergie. En 2011, Rentech s’est vu attribué par l’Ontario plus de 1,1 million de mètres cubes de bois annuellement en terre publique" (7).

Selon un rapport de Greenpeace Canada, « les coupes à blanc, encore majoritairement utilisées et fortement agglomérées, détruisent jusqu’à 145 000 hectares de forêt boréale par bloc de coupe » (8).
Ce pillage de la ressource est tel que 61 scientifiques américains ont écrit à la Commission européenne (9) pour s’inquiéter de cette situation, estimant que les Etats du Sud des Etats-Unis vont exporter près de 6 millions de tonnes de bois en 2015. Ils demandent à l’Union européenne de « repenser sa politique qui alimente cette demande de pellets de bois comme source de combustible pour générer de l’électricité en Europe ».
"Les sociétés (10) s’implantent dans les régions forestières du monde entier. Elles achètent des forêts entières, y implantent des unités de fabrication de granulés destinés à approvisionner des centrales européennes. Autre conséquence de cette nécessaire ressource : l’émergence de la ‘culture’ du bois. L’idée étant de planter des forêts d’essence à croissance rapide et donc à rotation courte, de 10 à 15 ans, d’exploiter par coupe rase et de replanter. Avec comme conséquence la nécessité d’intrants pour favoriser la croissance rapide et de grandes quantités d’eau pour démarrer la pousse.
Voir par exemple E.ON en Afrique, qui achète 8000 ha, quitte à exproprier les petits paysans locaux et à leur interdire l’accès à l’eau. L’Australie, qui privilégie l’utilisation des déchets bois, a interdit l’utilisation du bois d’œuvre en tant que bois énergie. Pour pallier cette difficulté, certaines compagnies de production d’énergie envisagent de cultiver de grandes étendues d’eucalyptus pour fabriquer du combustible pour leur propre compte, mais aussi pour l’export à destination de… l’Europe." (11)

Des forêts génétiquement modifiées

Dans ces plantations d’arbres à destination des centrales à biomasse, on trouvera sans doute les nouvelles espèces d’arbres génétiquement modifiés. Depuis plusieurs années, des expérimentations sont menées sur des variétés d’eucalyptus et de peuplier. En France, l’Institut national de recherche agronomique a récemment mené un projet de recherche intitulé « Taillis à très courte rotation de peupliers génétiquement modifiés pour les propriétés du bois - Evaluations agronomique et environnementale - Evaluation du bois pour la production de bioénergie » (12).
Mais selon d’autres informations, dans les centrales à charbon converties à la biomasse, il est conseillé de ne brûler que des pellets issus de feuillus à croissance lente avec un faible pourcentage d’écorce. En effet, les autres types d’arbres ont un niveau trop élevé de sels alcalins, qui corrodent les chaudières (13). Ainsi, ce n’est pas par hasard que les entreprises de production de pellets les plus performantes du Sud des Etats-Unis ciblent les forêts de feuillus. S’il est vrai que des entreprises comme Drax ont besoin d’exploiter des forêts de feuillus à croissance lente, l’impact sera immédiat, car, dans le Sud des Etats-Unis, très peu de forêts de feuillus autochtones ont survécu aux coupes rases et aux plantations de monocultures de résineux. La plupart se trouvent dans les zones isolées ou humides. La biodiversité de la région sera anéantie en un court laps de temps. L’industrie dépendra ensuite de la destruction de forêts à croissance lente ailleurs, au Canada, en Russie, en Europe de l’Est...

Concurrence avec les agrocarburants

On pourrait penser que la perspective était déjà assez sombre, mais d’autres menaces planent sur les forêts de notre planète. Dans un entretien avec Radio Zinzine (14), Sylvain Angerand, des Amis de la Terre, lance un avertissement : la nouvelle génération d’agrocarburants visera surtout des arbres. Un article publié par Enerzine (15) vient confirmer cette crainte : « En 2012, la Finlande a notifié son intention de soutenir financièrement la construction d’une unité de production d’huile de pyrolyse dans une centrale combinée chaleur et électricité existante à Joensuu ». Joaquín Almunia, commissaire européen chargé de la politique de concurrence, a donné son feu vert à la construction de cette usine. Pour lui, « l’huile de pyrolyse constitue une excellente alternative au fuel lourd. Elle peut être utilisée dans des chaudières à mazout existantes moyennant des adaptations minimes, ce qui constitue un sérieux incitant, pour les producteurs de chaleur, à se tourner vers des combustibles plus propres ».

Le mythe du bilan carbone neutre

La synthèse de Jean-François Davaut aborde deux autres aspects méconnus de cet engouement pour la biomasse industrielle : le mythe du bilan carbone neutre et la biomasse qui pollue autant que le charbon.
« La destruction des forêts et la combustion de la biomasse qui s’en suit sont l’affaire de quelques heures. Par contre, la régénération de biomasse nécessaire à la recapture du carbone émis va prendre plusieurs dizaines d’années. Il y a donc mécaniquement un ‘pic carbone’ qui va durer quelques dizaines d’années. La combustion de la biomasse émet, sur le moment, 51 % de CO2 de plus que la même quantité de charbon, ce qui crée une ‘dette’ carbone. Il a été calculé qu’il faut environ 40 ans pour annuler cette dette carbone supplémentaire par croissance de biomasse nouvelle, et 100 ans pour neutraliser l’émission carbone totale. » (16)
"La biomasse est prônée par quasiment l’ensemble des institutions politiques et écologiques, mais il apparaît que de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un discours simplificateur, qui va à l’encontre des objectifs affirmés. Des rapports scientifiques émanant d’organisations indépendantes, voire de collectifs de scientifiques, prouvent que les centrales à biomasse de grande capacité vont à l’opposé des résultats recherchés, à savoir un moindre impact écologique.
Brûler de la biomasse est en général plus polluant que brûler du charbon, sauf en ce qui concerne le dioxyde de soufre. Des données de centrales en activité indiquent que la biomasse émet 98 % de la quantité d’oxyde d’azote d’un volume équivalent de charbon bitumineux, 51 % de plus de CO2 et un niveau global comparable de particules, sauf que la biomasse émet davantage de particules fines. Les dioxines – particules chimiques les plus toxiques – sont émises en quantité 7 fois supérieure que par combustion du charbon. Pour compléter ce tableau, il faut noter que le pouvoir énergétique de la biomasse est environ deux fois plus faible que celui du charbon : il faut donc environ 2 tonnes de biomasse pour obtenir l’équivalent énergétique d’une tonne de charbon.
Ce qui amène à questionner les politiques publiques mises en place pour favoriser l’émergence des énergies renouvelables, ou plutôt de certaines catégories d’entre elles. L’un de ces rapports a servi à la Cour fédérale américaine pour annuler des lois mettant en place des subventions et des avantages fiscaux pour la production d’électricité à partir de la biomasse bois. De plus en plus de projets sont contestés, y compris par des organismes d’Etat chargés d’éclairer les décideurs politiques." (17)
On ne peut donc que lancer un appel massif « Halte à la biomascarade », ce qui ne met aucunement en question des petites chaufferies à biomasse adaptées à la ressource locale.

Nicholas Bell
Réseau pour les alternatives forestières,
Collectif SOS Forêt du Sud
nicholas.bell@gmx.net

(1) Voir « Ca brûle pour la forêt », Archipel no 220 (novembre 2013) et « Contre le délire d’E.ON », Archipel no 223 (février 2014).
(2) Jean-François Davaut, de l’association Adret-Morvan, a fait un travail de synthèse très utile : « Biomasse énergie : réalité de la situation », fondé sur des rapports de Biofuelwatch, Manomet Center, Partnership for Policy Integrity, Energy Justice, Nobiomass (Australie). La synthèse est disponible sur le site sosforetdusud.wordpress.com
(3) « Why was the world’s biggest biomass power station closed down – and what does this mean for forests ? », publié le 25 septembre 2013 par le blog de la Global Forest Coalition (GFC)
(4) Directive 2001/80/EC
(5) A ce chiffre, il faut ajouter le besoin de plusieurs douzaines de centrales neuves conçues dès le départ pour la biomasse. Ce qui donnerait, selon certaines estimations, le chiffre total de neuf fois la production annuelle.
(6) Les pellets, ou granulés bois, sont des combustibles issus du compactage des sous-produits de la transformation du bois comme la sciure ; à ne pas confondre avec les plaquettes, qui sont constituées de bois broyé ou déchiqueté. Avec l’augmentation de la demande pour des pellets, des entreprises américaines ont commencé à transformer des arbres entiers en sciure pour, ensuite, transformer celle-ci en pellets.
(7) « Brûler nos forêts en Europe pour remplacer le charbon : Québec se lance dans l’exportation », blog de Nicolas Mainville du 19 novembre 2013
(8) « Alerte boréale », publié en décembre 2012 par Greenpeace Canada. www.greenpeace.ca
(9) Lettre du 30 août 2013 au commissaire européen en charge de l’énergie, M. Günther Oettinger
(10) Comme E.ON, RWE, Drax…
(11) Extrait de la synthèse de Jean-François Davaut.
(12) http://presse.inra.fr/Ressources/Communiques-de-presse/Peupliers-genetiquement-modifies-l-INRA-souhaite-l-aboutissement-d-une-procedure-sur-des-bases-claires (mai 2013)
(13) Extrait de l’article de la GFC (note 3). Ces precisions proviennent de données techniques fournies par l’entreprise Drax, suite à une demande de Biofuelwatch dans le cadre de la loi sur la liberté d’accès à l’information. L’article précise que ces informations concernent uniquement les centrales à biomasse qui sont le résultat de conversions de centrales à charbon. La situation est différente dans le cadre de centrales à biomasse neuves conçues dès le départ pour un fonctionnement avec de la biomasse.
(14) Ecouter « SOS Forêt à Paris », quatorzième émission de la série « Entre cimes et racines » réalisée par Radio Zinzine, en partenariat avec le Réseau pour les alternatives forestières (RAF). www.radiozinzine.org ou sur le site du RAF : la page forêt sur www.relier.info
(15) « L’huile de pyrolyse constitue une excellente alternative au fuel lourd », publié le 11 avril 2014 sur Enerzine.com. L’huile de pyrolyse est obtenue par un traitement thermique du bois.
(16) Note de la rédaction : A comparer avec le taux de renouvellement du charbon, qui est de l’ordre de 300 à 500 millions d’années !
(17) Par exemple, le Vermont Public Service Board a refusé les certificats pour la centrale de North Springfield, dans l’Etat du Vermont.

Plan gouvernemental de centrales à biomasse

L’idée de disposer en France de centrales de production d’électricité et de chaleur remonte à une loi de 2000 et à un décret d’application publié le 4 décembre 2002.
En 2006, suite au Grenelle de l’environnement, un premier appel d’offres est lancé par le gouvernement. Le 12 juin 2008, Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, annoncent que 22 projets ont été sélectionnés, pour une puissance de 300 MW.
Le 22 janvier 2010, les mêmes ministres annoncent que le gouvernement a retenu 32 nouveaux projets pour une puissance totale de 250 MW.
En octobre 2011, 15 nouveaux projets sont acceptés pour une puissance totale de 400 MW. Celui de Gardanne (Bouches-du-Rhône) est le plus important, avec une puissance de 150 MW. C’est l’un des seuls à ne pas être couplé en cogénération.


Le poids des transports

A elle seule, la centrale de Gardanne nécessitera l’arrivée sur le site de 2500 tonnes de bois par jour, soit un millier de camions (un camion dit 38-tonnes transporte au maximum 24,5 tonnes). Cela fait plus de 40 camoins par heure, jour et nuit. Ces camions proviendront soit des zones de coupes (donc jusqu’à 400 km du site), soit du port de Marseille pour le bois importé.
Lorsque l’on dit que le bois fixe autant de carbone qu’il en émet lorsqu’on le brûle, on oublie les énormes émissions de gaz que les camions vont provoquer et qui, elles, ne seront pas compensés.

Du bon usage du bois

Le bois peut être un excellent combustible s’il est accompagné de mesures adéquates : circuits courts, utilisation dans des installations performantes, couplage avec une politique d’isolation. Particulièrement efficace pour la chaleur, il peut aussi être valorisé en cogénération électricité-chaleur. A l’opposé du projet de Gardanne.
Au niveau individuel, une mesure efficace pour économiser le bois est de remplacer une cheminée à foyer ouvert (dont seulement 10 à 20 % de la chaleur produite est récupérée) par un inserts, un poêle à bois ou un poêle de masse, dont les rendements peuvent dépasser 80 %. Il faut accompagner cela d’une isolation du logement qui peut faire baisser de manière très importante les besoins en chaleur…

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