Silence : Quel est le poids du camp de la paix actuellement en Israël ? Comment se manifestent les Juifs israéliens hostiles à la stratégie armée d’Israël qui aboutit au massacre de milliers de civils palestiniens ?
Pierre Stambul : En Israël, le clivage n’est pas gauche/droite, il est sioniste/non sioniste. Si on s’en tient aux résultats électoraux, sur les 120 députés à la Knesset (le Parlement israélien), il n’y a que 12 députés non sionistes qui appartiennent au Taal (un parti musulman), au Balad (parti d’extrême gauche) ou au Hadash (front démocratique comprenant le parti communiste). Parmi eux, 11 Palestinien-ne-s et un Juif : le communiste Dov Khenin.
Le mot « camp de la paix » est un peu ambigu. En Israël, tout le monde est pour la paix, terme qu’ils interprètent par : « foutez-nous la paix » en maintenant le statu quo actuel.
Je parlerai donc des Israélien-ne-s anticolonialistes qui nous disent parfois : « Vous, la gauche européenne, vous êtes contre votre gouvernement, parfois contre le capitalisme. Nous, on est contre l’air qu’on respire » (1).
Ces personnes ne sont pas très nombreuses. Elles sont descendues régulièrement dans la rue pendant les massacres à Gaza comme elles l’avaient fait lors de la guerre contre le Liban ou lors de « Plomb Durci » (2). Aucune manifestation n’a dépassé dix mille personnes. C’est peu et c’est beaucoup. On peut comparer ces anticolonialistes aux porteurs de valise français pendant la guerre d’Algérie. Leur existence rend l’avenir possible.
Quant à la « gauche sioniste » liée au parti travailliste qui était descendue massivement dans la rue il y a 30 ans, elle a appuyé toutes les agressions et les crimes de guerre commis au Liban ou à Gaza.
Comment voyez-vous la réouverture d’une plainte — et son rejet — auprès de la Cour Pénale Internationale le 25 juillet 2014 par le Ministre de la Justice en exercice du Gouvernement d’union nationale de la Palestine et le Procureur général près la Cour de Gaza ?
Les Palestinien-ne-s nous disent : « Pourquoi la justice internationale qui a inculpé et emprisonné les dirigeants coupables de crimes de guerre en Yougoslavie ou au Rwanda n’inculpe-t-elle pas les dirigeants israéliens qui ont donné l’ordre de tirer sur des enfants, des écoles, des hôpitaux en utilisant des armes interdites (phosphore, uranium appauvri, bombes à fléchettes…) ? »
Depuis des années, la communauté internationale essaie d’imposer aux Palestinien-ne-s des pseudo-négociations qui sont autant de demandes de capitulation sur leurs droits imprescriptibles. Le fait que tous les groupes palestiniens à Gaza restent soudés autour de la nécessité vitale de résister, les armes à la main, à l’invasion israélienne et la constitution d’un gouvernement palestinien d’union nationale marquent un changement. Il faut souhaiter que, en utilisant toutes les possibilités juridiques, la plainte palestinienne contre Israël aille jusqu’au bout. Israël est un Etat d’apartheid, il faudra que ses dirigeants soient condamnés et traités comme on a traité l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid.
Comment réagissez-vous aux controverses qui ont, en France, accompagné les manifestations de soutien au peuple palestinien, et aux accusations d’antisémitisme émises par certaines organisations juives françaises à ce propos ?
Pour les sionistes, critiquer Israël est antisémite. Dans l’UJFP, nous sommes nombreux-ses à avoir des histoires familiales douloureuses liées à la résistance contre le nazisme, à l’antisémitisme et à l’extermination. Avancer l’antisémitisme pour justifier la destruction de la Palestine est une insulte à notre mémoire. La politique israélienne n’est pas seulement criminelle contre les Palestinien-ne-s. Elle est suicidaire pour les Juif-ve-s qu’elle met volontairement en danger.
Quand un général israélien intervient dans une synagogue pour inciter les jeunes Français-es à faire l’armée en Israël, on est en pleine confusion. Nous refusons totalement l’équation juif = sioniste. Cette équation conduit à des expressions antijuives.
La meilleure réponse, c’est l’existence de Juifs anticolonialistes, en France comme en Israël. Nous avons une banderole commune avec l’Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), sur laquelle il est écrit : « Juifs et Arabes unis pour la Justice ».
En tout cas les dérapages antijuifs dans les manifestations ont été rares et tout le mouvement de solidarité a dégagé les indésirables. Au contraire, la présence de l’UJFP a été très applaudie et remarquée.
Selon vous, comment agir de manière efficace en soutien au peuple palestinien et aux militants de la paix israéliens ? Pensez-vous que la campagne BDS, Boycott-Désarmement-Sanction, est en train de faire bouger les lignes du côté israélien ?
Pour soutenir la Palestine, il y a de nombreux moyens. Y aller (en mission, en voyage touristique intelligent, en acte concret de solidarité…) et témoigner au retour. Faire pression sur les dirigeants politiques de notre pays, tant la complicité de Hollande et du gouvernement français a été scandaleuse. Mais avant tout, il y a le BDS (3).
L’UJFP fait partie de BDS-France et nous sommes pour un boycott total (économique, politique, commercial, culturel, universitaire, syndical, sportif…) à l’image de ce qui s’est fait contre l’Afrique du Sud. Il existe en Israël un mouvement appelé « Boycott de l’intérieur ».
Le BDS ne mettra sans doute pas à genou l’économie israélienne, mais il porte des coups terribles à « l’image » de cet Etat voyou. Sans sanctions, le rouleau compresseur colonial et les crimes de guerre se poursuivront. Si Israël est sanctionné, les choses changeront très vite.
Propos recueillis par Guillaume Gamblin
(1) Parmi eux, il y a de nombreuses associations : le Centre d’information alternatif (AIC), les Anarchistes contre le mur, les Femmes en Noir, la Coalition des femmes pour la paix, le Bloc de la Paix, les associations de refuzniks, Zochrot (qui fait revivre la mémoire des villages palestiniens effacés de la carte), Betselem, Machsom Watch, Adalah (qui défend les droits des Palestiniens d’Israël), Tarabut… Il y a aussi des personnalités étonnantes : Michel Warschawski, Nurit Peled, les journalistes Gideon Lévy et Amira Hass, les historiens Ilan Pappé et Shlomo Sand, Uri Avnéry, Esti Micenmacher …
(2) Plomb durci, offensive militaire israélienne du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009. 13 morts côté israélien, 1330 côté palestinien.
(3) La campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction contre les intérêts d’Israël, www.bdsfrance.org. « Les revendications de l’appel palestinien au BDS sont : fin de l’occupation, de la colonisation et du blocus, destruction du mur, libération des prisonniers, égalité des droits, droit au retour des réfugiés. Ce sont des revendications universelles et légitimes ».
Union Juive Française pour la Paix (UJFP), 21 ter rue Voltaire, 75011 Paris, www.ujfp.org.
Appel juif et arabe pour condamner Israël
Le 24 juillet 2014, le site Médiapart a publié une tribune « Condamner Israël, un devoir » signé uniquement par des personnalités « d’ascendance juive ou arabe » dénonçant les positions de pompier pyromane du gouvernement français qui a interdit des manifestations de soutien aux Palestiniens sous prétexte d’antisémitisme. Et de rappeler qu’Israël mène actuellement une politique d’extrême-droite coloniale des plus barbares.
Enjeux énergétiques
The Guardian du 9 juillet 2014 a publié une analyse de Nafeez Ahmed qui explique que depuis la découverte d’une poche de gaz de 40 milliards de m3 au large de Gaza en 2000, Israël a mis en place une stratégie pour empêcher les Palestiniens d’exploiter cette ressource. Il cite Moshe Ya’alon, actuel ministre israélien de la Défense et ancien chef d’état major des Forces de Défense Israéliennes, qui explique que cette richesse en gaz peut aider à financer le terrorisme du Hamas et qu’Israël entend bien éviter cela. Selon le ministre, l’opération « Plomb durci » en 2008, avait déjà cet objectif officieux (1387 Palestiniens et 9 Israéliens tués). Début 2014, les négociations menées par Tony Blair sur un accord entre les deux Etats prévoyait que les Palestiniens s’engagent à vendre pour 845 millions d’euros de gaz en provenance du gisement sur les 20 années qui suivront le début de son exploitation… mais à condition que le Hamas ne puisse pas bénéficier de cette somme. La réconciliation entre Hamas et Autorité palestinienne au printemps 2014 est donc l’une des causes de l’offensive menée pendant l’été par Israël.
Massacre
Entre le 8 juillet et le 1er septembre 2014, l’assaut de l’armée israélienne contre Gaza a fait plus de 2147 morts et 11 000 blessés… contre 71 morts et 200 blessés du côté israélien. Alors que fin juillet plus de 225 000 Palestiniens avaient trouvé refuge dans des écoles de l’ONU (un quart de la population de Gaza), l’armée israélienne (86 000 personnes mobilisées) n’a pas hésité à bombarder trois de ces écoles.
Petite phrase
Jacques Kupfer, du co-président du Likoud Mondial a déclaré, le 15 juillet 2014 : « Si nous voulons mettre un terme à la guerre, nous devons raser Gaza. Gaza doit devenir un champ de ruines d’où ne peuvent sortir que des gémissements ».
Le 24 juillet 2014, le site Médiapart a publié une tribune « Condamner Israël, un devoir » signé uniquement par des personnalités « d’ascendance juive ou arabe » dénonçant les positions de pompier pyromane du gouvernement français qui a interdit des manifestations de soutien aux Palestiniens sous prétexte d’antisémitisme. Et de rappeler qu’Israël mène actuellement une politique d’extrême-droite coloniale des plus barbares.
The Guardian du 9 juillet 2014 a publié une analyse de Nafeez Ahmed qui explique que depuis la découverte d’une poche de gaz de 40 milliards de m3 au large de Gaza en 2000, Israël a mis en place une stratégie pour empêcher les Palestiniens d’exploiter cette ressource. Il cite Moshe Ya’alon, actuel ministre israélien de la Défense et ancien chef d’état major des Forces de Défense Israéliennes, qui explique que cette richesse en gaz peut aider à financer le terrorisme du Hamas et qu’Israël entend bien éviter cela. Selon le ministre, l’opération « Plomb durci » en 2008, avait déjà cet objectif officieux (1387 Palestiniens et 9 Israéliens tués). Début 2014, les négociations menées par Tony Blair sur un accord entre les deux Etats prévoyait que les Palestiniens s’engagent à vendre pour 845 millions d’euros de gaz en provenance du gisement sur les 20 années qui suivront le début de son exploitation… mais à condition que le Hamas ne puisse pas bénéficier de cette somme. La réconciliation entre Hamas et Autorité palestinienne au printemps 2014 est donc l’une des causes de l’offensive menée pendant l’été par Israël.
Entre le 8 juillet et le 1er septembre 2014, l’assaut de l’armée israélienne contre Gaza a fait plus de 2147 morts et 11 000 blessés… contre 71 morts et 200 blessés du côté israélien. Alors que fin juillet plus de 225 000 Palestiniens avaient trouvé refuge dans des écoles de l’ONU (un quart de la population de Gaza), l’armée israélienne (86 000 personnes mobilisées) n’a pas hésité à bombarder trois de ces écoles.
Jacques Kupfer, du co-président du Likoud Mondial a déclaré, le 15 juillet 2014 : « Si nous voulons mettre un terme à la guerre, nous devons raser Gaza. Gaza doit devenir un champ de ruines d’où ne peuvent sortir que des gémissements ».