Thierry Cloteau, originaire de la Mayenne, a suivi une formation au métier de paysan entre 1985 et 1990. Pour cela, il a obtenu un brevet professionnel à Grenoble. Il y a découvert l’association Peuple et culture, qui publie la revue Alternatives paysannes. À la même époque, Marie Girard, originaire du Loir-et-Cher, s’intéresse aux liens entre le social et la culture en milieu rural. Elle fait des voyages et des enquêtes avec Peuple et culture pendant deux ans, puis rejoint l’association pour assurer le suivi des projets en Rhône-Alpes. Elle y reste pendant trois ans. Thierry et elle s’y rencontrent.
En 1990, à l’approche de la trentaine, ils décident de s’installer comme paysans. Marie voulait s’établir dans le Sud-Est, qu’elle estimait plus riche en alternatives. Thierry a prôné leur actuel lieu de résidence parce qu’il ne se voyait paysan que dans son pays. Ils ont trouvé leur ferme dans la partie de la Mayenne le moins touchée par le remembrement, où les parcelles sont donc restées petites et les haies, nombreuses (bocage à cultures peu intensives).
Limiter les besoins
Au départ, ils disposent de 10 ha en location et de 8 vaches laitières, ce qui est jugé non rentable par les institutions agricoles classiques. Mais le couple profite de plusieurs atouts : il emprunte très peu. Peuples et culture lui a appris à bien déterminer ses points forts, à estimer les coûts et bénéfices des différentes activités, à bien penser l’aspect commercial du projet. Enfin, Marie et Thierry sont entourés de paysans âgés qui ont fait l’expérience de l’intensif, en ont vu les inconvénients et se rappellent, heureusement, leurs anciennes pratiques. Ils vont leur donner de nombreux conseils utiles.
Les vaches sont choisies pour leur rusticité. Leur rendement en lait est assez faible mais elles peuvent vivre presque toute l’année à l’extérieur. En conséquence, Thierry et Marie n’ont besoin de construire qu’un seul hangar pour le stockage du foin et des outils agricoles, et la stabulation libre des vaches qui viennent de véler. Ils commercialisent en vente directe du fromage, du lait cru, des yaourts, de la crème. A l’époque, une seule autre ferme biodynamique procède ainsi dans les environs.
Parallèlement, Marie crée un jardin de plantes aromatiques et développe la cueillette de plantes sauvages, sur place et dans deux fermes bio voisines, pour réaliser des tisanes dont la vente commence six mois après leur installation. Marie, qui s’était formée dans le sud-est, a donc dû s’adapter au climat local.
Ces deux activités ont une particularité : elles ne nécessitent pas d’industrialisation forcenée du métier, donc pas d’immobilisation de capitaux. Les tisanes représentent un chiffre d’affaire modeste (5000 € par an) mais l’activité repose uniquement sur le travail et produit donc un revenu direct. Ainsi, le projet s’équilibre financièrement dès la troisième année.
Une fois le hangar payé, Marie et Thierry n’ont plus d’emprunt en cours et achètent des terres progressivement : aujourd’hui, ils disposent de 5 ha en propriété et de 25 ha en location.
Sortir de l’économisme
Trois filles viennent agrandir la famille. En 1994, à la naissance de la deuxième, le couple décide de cesser la vente sur les marchés pour ne fournir que des magasins. A la naissance de la troisième, Thierry et Marie arrêtent aussi la transformation pour confier leur lait à une coopérative. Cela leur rapporte presque autant, grâce à la mise en place d’une collecte du lait bio, mieux payé que le lait industriel. A l’époque, c’est jugé risqué, mais cela s’avère un bon choix : disposant de plus de temps, ils peuvent être plus autonomes, notamment en développant un potager, en faisant leurs conserves et leurs confitures. Ils dépensent donc moins. A l’arrivée, en travaillant moins, ils vivent mieux et peuvent passer plus de temps avec leurs filles.
La vente des tisanes sur les marchés entraîne une demande de formation pédagogique à la botanique. Marie est alors la seule à avoir une telle activité dans le département. Elle organise des stages pour les enfants et les adultes. Elle intervient notamment dans le cadre de l’Université du temps libre de Mayenne depuis 2004.
En 2006, nouveau virage : Thierry et Marie décident d’arrêter le lait pour ne plus faire que de la viande, en extensif. Ils conservent leurs vaches laitières rustiques, mais font venir un taureau charolais (race destinée à la viande) pour obtenir une espèce croisée. Une nouvelle fois, c’est a priori un choix anti-économique… mais qui les libère encore plus. Ils peuvent ainsi aller vers ce qu’ils cherchent : une sortie de l’économie classique, et du temps pour s’investir localement dans différentes associations.
Une démarche de décroissance
Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires de moins de 50 000 € par an, ils ont clairement réussi une démarche de décroissance, qu’ils revendiquent comme telle. Estimés « pauvres », ils paient peu d’impôts et ont bénéficié pour leurs enfants de bourses et aides sociales.
Pour leur première fille, cela a été difficile, car elle s’est retrouvée en décalage avec ses copines. Pour les deux autres, cela s’est mieux passé car, progressivement, la démarche a été reconnue et deux stagiaires, après leur passage à la ferme, se sont installés dans le voisinage en adoptant la même démarche.
Marie et Thierry sont sont actifs dans le réseau RELIER, au sein duquel ils ont pu témoigner de leur démarche de réduction du temps de travail. Il s’agit pour eux de mettre en application un slogan de la Confédération paysanne : « Trois petites fermes valent mieux qu’une grande. » Mieux vaut se multiplier que croître.
Ils ont constaté, en discutant avec leurs stagiaires, que peu de jeunes ont envie de travailler à temps partiel. Il y a même eu un creux important au début des années 2000 concernant la volonté d’installation, mais depuis 2008 et le début de la nouvelle crise économique, les stagiaires sont plus nombreux et les débats politiques sur la décroissance et l’autonomie, plus présents. Ils constatent aussi une envie plus forte de monter des projets collectifs.
Autour d’eux, la campagne est très conservatrice. Leur démarche décroissante a beaucoup désorienté le voisinage. Celui-ci a été étonné par leur capacité à rester ouvert sur d’autres activités : ils ont toujours pris des vacances, ils sortent voir des spectacles, sont disponibles pour des activités collectives.
Plutôt que de se présenter comme « alternatifs », ils ont cherché à entrer dans les structures existantes : Marie est membre du conseil municipal, Thierry est actif au sein du CIVAM bio, d’Accueil paysan et maintenant de Synergies, une association qui travaille sur le scénario Négawatt au niveau du département. Ils sont ainsi présents dans de nombreux débats intercommunaux où ils essaient de faire progresser la prise de conscience et la capacité de débattre avec des idées différentes.
M. B.
Peuple et culture est un réseau d’associations d’éducation populaire né de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il se donne pour but de lutter contre les inégalités culturelles et pour le droit au savoir tout au long de la vie. Dans le réseau, on retrouve RELIER, Accueil paysan, des boutiques d’écriture, etc.
• Peuple et culture, 108-110, rue Saint-Maur, 75011 Paris, tél : 01 49 29 42 80, www.peuple-et-culture.org
Le Réseau d’expérimentations et de liaisons des initiatives en espace rural (RELIER) est une association d’éducation populaire qui a vu le jour en 1984. Elle cherche à mettre en contact les projets qui s’appuient sur la recherche d’autonomie et la coopération, Elle fait la promotion des initiatives alternatives qui permettent des installations dans un contexte de baisse de l’activité en milieu rural.
• RELIER, 1 rue Michelet, 12400 Saint-Affrique, tél. : 05 65 49 58 67, http://reseau-relier.org
Thierry et Marie ont ouvert un gîte de 4 personnes. Ils adhèrent à l’association Accueil paysan. Celle-ci rassemble des paysans et des acteurs ruraux qui, en prenant appui sur leur activité agricole ou leur lieu de vie, mettent en place un accueil touristique, pédagogique et social dans le but de continuer à vivre décemment sur leurs terres.
• Fédération nationale Accueil paysan, 9, avenue Paul-Verlaine, 38100 Grenoble, tél. : 04 76 43 44 83, www.accueil-paysan.com
• Marie Girard et Thierry Cloteau, L’Ermitage, 53600 Sainte-Gemmes-le-Robert, tél : 02 43 90 63 02, thierry.cloteau@wanadoo.fr ou lermitage53@orange.fr
• Synergie, 14, rue J.B.-Lafosse, 53000 Laval, tél : 02 43 49 10,02, www.synergies53.fr
• Civam Bio, 14, rue J.B.-Lafosse, 53000 Laval, tél : 02 43 53 93 93, coordination@civambio53.fr