20 ans se sont écoulés depuis le génocide des Tutsi au Rwanda. Deux décennies qui teintent parfois d’imprécision les souvenirs des survivants mais qui n’ont pas entamé la nécessité de faire la lumière sur l’ensemble des rôles dans ce crime. Encore aujourd’hui, les personnalités politiques et militaires de l’époque s’entêtent dans un déni en bloc de leurs responsabilités dans cette histoire.
Alors qu’en 2013, le nouveau gouvernement français avait brillé par son silence lors des commémorations du génocide, cette année a été marquée par un déni affirmé bruyamment. D’Alain Juppé, se défendant face à une lettre ouverte lancée par des militant-e-s bordelais-es, au ministère des affaires étrangères annulant la participation française aux commémorations officielles à Kigali, tous ont nié l’évidence : depuis 1990, sans discontinuer, les autorités françaises ont apporté un soutien concret aux extrémistes qui ont préparé puis commis le génocide.
Ainsi, des armes ont été livrées par la France à l’armée génocidaire, même après le début du génocide, comme l’ont reconnu, encore cette année, Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Élysée, ou Bernard Kouchner. En 1994, les génocidaires rwandais ont été exfiltrés par l’armée française vers le Zaïre ou ailleurs. Lors de ces 20es commémorations, un ancien officier de l’opération Turquoise, Guillaume Ancel, a témoigné que des dizaines de milliers d’armes avaient même été restituées par la France à l’armée génocidaire (voir Silence précédent). Celui-ci a aussi ajouté que l’opération française déclenchée fin juin 1994, toujours présentée comme humanitaire, avait initialement un ordre offensif contre l’armée opposée au régime extrémiste et ne visait donc pas à faire cesser le génocide commis par nos alliés.
L’année 2014 a aussi été marquée par des avancées tant sur le front judiciaire ou médiatique que du côté des mobilisations militantes. Bien que tardif, un premier procès a eu lieu en France, qui a abouti, en mars, à la condamnation du capitaine Simbikangwa pour crime de génocide. Plusieurs ouvrages de journalistes, chercheurs ou militants ont été publiés et permettent de mieux cerner le déroulé du génocide et la place des différents acteurs. Dans les médias, la question du rôle de la France est de mieux en mieux traitée, même si beaucoup reste à faire et que la vigilance face au négationnisme est toujours nécessaire. La mobilisation de militant-e-s de Survie ou d’autres organisations, de rescapé-e-s du génocide a permis d’imposer la mémoire du génocide et l’exigence de vérité et de justice dans le débat public. Ainsi, en 2014, suite à ces mobilisations, un certain consensus s’est dégagé, même auprès de certains responsables de l’époque, pour que les documents français portant sur cette période soient enfin déclassifiés et publiés. Toutes ces avancées sont à mettre au crédit de personnes mobilisées face à un déni étatique.
Mathieu Lopes
Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org.
Pour en savoir plus
• L’espace dédié à la campagne sur le site de Survie : http://survie.org/genocide
• Le sabre et la machette, les officiers français et le génocide des Tutsi au Rwanda, François Graner, éditions Tribord
• Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda – Chronique d’une désinformation, Jean-François Dupaquier, éditions Karthala
• « Au nom de la France », guerres secrètes au Rwanda, Benoît Collombat et David Servenay, éditions La Découverte