Dans le discours israélien, le terme "minorité palestinienne" n’existe pas, c’est plutôt la "minorité arabe" divisée en : Bédouins, Musulmans et Chrétiens. La conscience hégémonique reconnaît l’existence de nombreuses minorités dans la société israélienne ; cependant elle dénie leur relation nationale commune et, bien sûr, leurs droits collectifs. En outre elle les sépare du reste de la population palestinienne dans et hors de Palestine.
Changer de nom… changer de camp ?
En 2007, l’assemblée générale des Comités de Direction de l’association de lutte pour les droits sociaux Mahpach-Taghir (voir encadré) s’est réunie. A l’agenda figurait la nouvelle appellation de l’organisation qui passait de "juive-arabe" à "juive-palestinienne". La tension était presque tangible pendant la réunion.
Ce simple changement de terminologie, qui remet au centre la question du conflit national entre Israël et la Palestine, effaçait d’un coup l’expérience accumulée et la confiance bâtie. Le dialogue était conflictuel. Les deux côtés, les femmes juives et les femmes palestiniennes, se sentaient menacées. Les femmes juives parce que la définition des femmes arabes comme palestiniennes les transformaient en une partie de l’"ennemi" collectif. Ruti : "Nous n’avons pas de problème avec les Arabes mais avec les Palestiniens nous sommes en guerre..." (2). Alors que pour Cultume : "Je me sens à l’aise avec cette nouvelle définition de l’organisation, ainsi cela m’inclut moi avec mon identité en tant que femme palestinienne"(3) .
Le changement de terminologie obligeait les femmes à faire un pas de plus dans leur processus de conscience en acceptant qu’elles fussent en partenariat avec des femmes palestiniennes. Ruti et d’autres membres du sous-groupe juif ont parlé de leur peur qu’elles aient à payer un prix élevé à cause de leur "nouveau" partenariat avec les femmes palestiniennes. De leur crainte de l’exclusion aux yeux de leur communauté et de leurs familles.
Pour les femmes palestiniennes, pour la plupart, c’était la première fois qu’elles se définissaient comme "Palestiniennes" face à des Juifs-israéliens. La redéfinition identitaire faite devant les femmes juives mettait en jeu un haut niveau de peur et d’angoisse, de plus elle apportait la lourde charge de la tragédie et de l’histoire de tout le peuple palestinien.
Un renversement des relations hégémoniques coloniales
Le dialogue qui a eu lieu pendant la rencontre a provoqué un renversement des rôles dans les relations hégémoniques coloniales.
Les femmes palestiniennes étaient extrêmement anxieuses, elles se sentaient menacées par cette nouvelle définition organisationnelle qui les obligeait à prendre une position politique claire. A la fin de la journée, c’est ce qui effrayait les femmes juives, même si c’était de manière inconsciente. Dans les relations du pouvoir colonial symbolique, les "Indigènes" n’ont pas droit à l’auto-définition. Et ainsi le colonisateur est celui qui doit nommer et identifier le colonisé (4).
Dans le sens commun israélien, la lutte des femmes juives et palestiniennes ensemble pour le futur de leurs enfants et de leurs communautés est une praxis de résistance au consensus raciste. Le cas présent illustre comment un dialogue conflictuel a conduit à un renversement de rôle entre le colonisateur et le colonisé qui a modifié la relation de pouvoir dans le groupe. Le colonisateur a perdu son privilège de définir le colonisé et est passé par la définition d’une nouvelle position de discours défensif.
Le "prix" symbolique du changement
La question de la responsabilité et le prix du partenariat ont créé une extrême anxiété. Dans les communautés palestiniennes, le partenariat avec le côté juif est souvent perçu comme une forme de collaboration avec l’ennemi-oppresseur du peuple palestinien. Donc cette coopération oblige les femmes palestiniennes à faire face à leur communauté et à expliquer leurs actions et leurs choix. Dans ce sens, les responsabilités par rapport au partenariat étaient égales. Les femmes juives devaient prendre des engagements pour cette coopération qui brisaient les relations coloniales, pendant que les femmes palestiniennes devaient prendre leurs responsabilités pour la coopération avec l’ennemi national. Dans cette dynamique de pouvoir inégalitaire, les femmes se trouvèrent à des places également conflictuelles en nécessité de payer un prix lourd alors qu’en retour les deux côtés ne recevaient "que" le partenariat. A ce moment-là, une rupture pour un changement de conscience a pu s’opérer des deux côtés.
Tal Dor et Marcello Weksler
Mahapach en hébreu et Taghir en arabe signifient tous les deux « transformation ». Mahapach-Taghir est un mouvement éducatif populaire, basé sur le militantisme collectif, visant à se donner du pouvoir, et qui lutte pour des droits à l’éducation égaux pour les enfants des communautés exclues, pour le droit de la communauté à contrôler ses espaces publiques communs, et pour les droits des femmes de toutes les communautés juives et palestiniennes qui vivent dans l’exclusion partout en Israël.
"Les femmes juives devaient prendre la responsabilité de leur partenariat qui brisait les relations coloniales, pendant que les femmes palestiniennes devaient prendre la responsabilité de la coopération avec l’ennemi national".