Les militants aguerris ont tout de suite compris en arrivant sur le lieu de la manifestation que les autorités avaient des ordres pour provoquer. Alors qu’une impressionnante foule se rassemblait bon enfant devant la préfecture — un record de mobilisation —, gendarmes mobiles et compagnies républicaines de sécurité paradaient bien visibles tout autour. Grilles anti-émeutes et véhicules blindés armés de canons à eau étaient déjà déployés. La veille de la manifestation, la préfecture avait interdit le passage sur le Cours des 50 otages, l’axe central de la ville, et lieu habituel de toutes les manifestations… faisant passer le cortège devant les vitrines de Vinci, puis devant un chantier Vinci…
Une manifestation riche en couleurs
Après une dernière averse, la manifestation a commencé, vers 13h, à descendre la rue de Strasbourg. Quelques tracteurs ouvraient la marche — la plupart restant sur le lieu d’arrivée de la manifestation pour des raisons de sécurité. Une soixantaine de cars de soutien avaient convergé vers la manifestation venus pour moitié de Bretagne et de la région Pays de Loire, l’autre moitié d’un peu partout en France (depuis Bizi en pays Basque aux opposants à Fessenheim en Alsace). Le gros des troupes dans la manifestation était assuré par les centaines de comités de soutien qui se sont multipliés dans la région. Il y avait également des défilés plus politiques (EELV, Front de gauche, libertaires, Sud…)… et quelques banderoles originales comme celle du comité de Bouguenais qui réclamait "gardons notre aéroport". Bouguenais est la commune au sud de Nantes où se trouve l’actuel aéroport.
En bas de la rue de Strasbourg, le long des voies ferrées, se trouvaient deux foreuses sur un chantier confié à Vinci. Une des foreuses est incendiée. La manif est alors légèrement détournée pour éviter les risques d’explosion de la machine. Alors que 99 % des manifestants empruntent maintenant deux cours importants parallèles, des heurts éclatent au niveau de barrages policiers (rue de la Paix (!) et Cours des 50 otages). S’il y a vite des centaines de personnes dont le visage est masqué par des foulards pour se protéger de l’atmosphère irritante des gaz lacrymogènes, il n’y a que quelques dizaines de "casseurs" à répliquer aux forces du désordre. Il y a beaucoup de jeunes qui regardent et qui filment avec leur téléphone portable, mais très peu de "combattants". Avec probablement au sein de ces derniers quelques personnes en relation avec le ministère de l’intérieur (1).
Alors que l’essentiel de la foule arrive vers 15h sur la place d’arrivée, des tracteurs sont déployés entre les barrières anti-émeutes et les manifestants. Les affrontements se déplacent alors dans le centre ancien et vont se poursuivre jusqu’à la nuit. Il y aura finalement que 14 interpellations et une cinquantaine de blessés (2).
Stratégies politiques
La date de la manifestation a été choisie par les organisateurs pour faire pression au moment des élections municipales. L’information importante du jour est un sondage Ifop commandité par l’ACIPA, Agir pour l’environnement et Attac qui indique que 56 % des Français sont pour l’abandon du projet d’aéroport (24 % y sont favorables, 20 % sans opinion). Ceci est dit et redit de nombreuses fois au micro. Mais pourtant, cela ne figurera le lendemain que discrètement dans les médias, la plupart focalisant évidemment sur les "casseurs".
Le gouvernement n’y est en effet pas allé de main morte. Dès la fin de l’après-midi, les déclarations se sont multipliées. Manuel Valls dénonçant "cette ultra-gauche, ces black-block originaires de notre pays, mais aussi de pays étrangers" (encore un coup des Roms ?). Jacques Auxiette, président PS de la région, a dénoncé "l’hypocrisie des condamnations a posteriori des responsables politiques nationaux, et en particulier ceux d’EELV". Bizarre ! Pouvait-on les condamner avant ? Lui savait qu’il y aurait des violences ?
Alors que dès le samedi soir, Jean-Philippe Magnen, vice-président EELV de la région, a condamné des débordements "qui tentent de discréditer la mobilisation pacifique et citoyenne de 50 000 personnes" sans préciser qui les a provoqués, Jean-Marc Ayrault et de nombreux dirigeants du PS ont "sommé EELV de sortir de l’ambiguïté". Il avait encore en travers de la gorge, la déclaration de Cécile Duflot au Monde, à la veille de la manifestation annonçant que s’il elle n’était pas ministre, elle participerait à la mobilisation "plutôt deux fois qu’une". Ayrault a carrément accusé les organisateurs d’être "la vitrine légale d’un mouvement armé".
Ces derniers ont refusé de condamner les violences. L’ACIPA qui regroupe les opposants locaux pose la question : "Il existe différentes manières de s’exprimer dans ce mouvement. Le gouvernement reste sourd à la contestation anti-aéroport. Il n’est donc pas étonnant qu’une certaine colère s’exprime". Le COPAIN44 qui regroupe des agriculteurs, a réagi ainsi : "Nous déplorons que samedi, le ministère de l’intérieur et le préfet, avec l’accord de pouvoirs politiques, aient sciemment joué avec la sécurité de 50 000 citoyens venus manifester joyeusement en famille". Le CEDPA qui regroupe un millier d’élus opposés au projet a répliqué : "Les dégâts - réels et choquants - ne peuvent valoir justification pour faire disparaître irrémédiablement une zone humide remarquable pour réaliser un équipement inutile. Nous ne nous laisserons pas enfermer dans ce piège et continuerons à faire toute la vérité sur les mensonges et les faux arguments qui fondent aujourd’hui la « vérité officielle » du projet d’aéroport". L’ADECA, autre organisation agricole rappelle "Nous avons eu peur pour les militants et pour notre matériel. Nous comprenons donc, et partageons le désarroi des Nantais devant les dégâts. La violence ne fait pas partie de nos modes d’action. Mais cette journée ressemble trop à un plan bien préparé : samedi violences, dimanche attaques contre les opposants et les écologistes, lundi, mardi : communication sur les dégâts et on pourra ainsi continuer à essayer d’imposer ce projet".
Depuis le début de l’occupation des lieux, les autorités essaient de diviser les opposants entre marginaux (présentés comme violents) et responsables (supposés conciliants). Mais les organisateurs ne sont jamais tombés dans ce piège. Tout le monde poursuit un objectif commun, même si les méthodes peuvent diverger et tout le monde s’entraide, même si parfois c’est difficile.
Quelle suite à Notre-Dame-des-Landes ?
Sur place, le nombre de cabanes a grimpé depuis les affrontements de novembre 2012, de 20 à 60. Tous les paysans sont maintenant expulsables, les actions en justice dans ce domaine étant terminées. Les recours juridiques se concentrent au niveau européen concernant les déficiences de l’enquête publique à propos des lois de protection des espèces et des zones humides.
Avec 520 tracteurs mobilisés — un record en Bretagne — et des milliers de personnes mobilisées localement, le gouvernement peut difficilement se lancer dans une offensive pour nettoyer le terrain.
Ni avant les élections de ce printemps, ni après… car en 2015, ce sera le tour des élections régionales. Jacques Auxiette président PS ne dispose que de 35 sièges PS sur 91 et n’a la majorité qu’avec le soutien des écologistes (17 EELV et 3 Ecologie Solidarités).
EELV a bien compris la situation et José Bové à la tribune s’est proposé de rencontrer Jean-Marc Ayrault pour négocier avec lui une sortie honorable à ce dossier. Va-t-on enfin en finir avec le dernier projet d’aéroport en France ? Quand un gouvernement n’a plus comme argument que la violence, c’est qu’il n’est pas loin de céder.
Michel Bernard
(1) témoignage d’un témoin, Pierrot, du Comité de soutien d’Olonnes : "Ce qui était encore plus bizarre, c’est que la petite troupe qui jouait aux ninjas était dirigée par un individu non cagoulé qui avait tout l’air d’un officier de police en civil (jean, imper ouvert, cheveux gris) (…) Aussitôt j’ai pensé à cette épisode ou des policiers déguisés en Zadistes les avaient pris à revers sur une barricade à l’automne 2012, la même fine équipe était à l’œuvre".
(2) dont trois graves : un œil crevé, un nez fracturé, une phalange arrachée.
A lire et voir sur internet une très bonne analyse des manipulations médiatiques :
• http://duclock.blogspot.se/2014/02/nantes-centre-ville-devaste-de-quoi.html
Et un compte-rendu très fidèle :
• http://zad.nadir.org/spip.php?article2256
Livres
Notre-Dame des Landes
Hervé Kempf
Ce livre raconte l’histoire de l’opposition au projet d’aéroport depuis le début (premiers tirs de gaz lacrymogènes en 1972), décrit la vie "autonome" sur la ZAD et décortique les arguments en faveur du "déplacement" de l’aéroport présents dans l’enquête publique ou mis en avant maintenant. Enfin, Hervé Kempf analyse la symbolique de ce projet : la perte de démocratie dans notre pays, la main mise d’une oligarchie prétentieuse et en quoi, cette lutte permet de réenchanter notre imaginaire tourné vers de nouvelles relations humaines en accord avec notre environnement. C’est écrit de manière très journalistique et donc très facile de lecture. MB.
Ed. Seuil, 2014, 160 p. 10 €.
Détachez vos ceintures
Collectif
Recueil de bandes dessinées et de dessins autour de la lutte de Notre-Dame-des-Landes avec la participation d’une cinquantaine de dessinateurs et coédité par une quinzaine de maisons d’édition. On peut le commander par paquet de 10 (70 €) : le bénéfice sert à financer la lutte.
Ed du Kyste c/o Editions Goaster, 12, rue Gaston-Tardif, 35000 Rennes, 2013, 144 p. 10 €
C’est quoi c’Tarmac
Collectif Sudav
Textes écrits par des acteurs de la lutte locale avec le rappel des autres luttes victorieuses dans la région. La lutte vue de l’intérieur.
Ed. No Pasaran, 2011, 168 p. 10 €
Associations et site internet
• Acipa, BP5, 44130 Notre-Dame-des-Landes, tél : 06 71 00 73 69, http://acipa.free.fr (en se rendant à la rubrique autres sites, vous avez tous les liens vers les organisations qui soutiennent)
• Zad.nadir, http://zad.nadir.org, site animé par les occupants de la Zad, avec le suivi heure par heure de ce qui se passe sur le terrain.
• Cedpa c/o Jean-Jacques Kogan, La Giboire, 44240 Sucé-sur-Erdre, http://aeroportnddl.fr/ association des élus doutant de la pertinence de l’aéroport.
• Naturalistes en lutte, http://naturalistesenlutte.overblog.com/ association des naturalistes qui regroupent différentes associations de scientifiques qui font des recours sur les insuffisances de l’enquête publique concernant les mesures de protection de l’eau et des espèces protégées.
• Copains44, collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport, fédère la confédération paysanne, les Civam, le GAB44 (http://www.gab44.org), Accueil paysan, Terre de liens…