Silence : Vous militez dans l’association toulousaine Génération spontanée contre le racisme et l’islamophobie. Quelle est l’action de ce collectif ?
Hélène Vincentini : Nous l’avons fondé à partir d’un autre collectif spontané qui s’était mobilisé dans le quartier de la Reynerie, à Toulouse, en avril 2005, contre les violences policières qui avaient conduit quatre jeunes hommes en prison. Ensuite, avec une amie musulmane voilée, suite à des actes d’islamophobie, nous avons lancé ce collectif. A quelques exceptions près, les seules personnes qui nous ont rejoints sont des femmes musulmanes.
Nous avons organisé des actions pour demander des cantines végétariennes afin que les enfants musulmans ne soient pas affamés en sortant de la cantine. Nous avons fait différentes actions, couvertes par les médias, mais toujours avec une minorité de Blanches et de Blancs (actions contre « les violences faites aux femmes » musulmanes,« journée de la femme » musulmane, diffusion plus de trente fois du film Un racisme à peine voilé, débat contre l’islamophobie, sur la guerre d’Algérie…).
Actuellement, des musulmanes privées de papiers ont rejoint en nombre notre collectif. La difficulté est de trouver du travail quand on est musulmane voilée et/ou sans papier. Un groupe de douze femmes est en train de fonder une association dont le but est de créer leurs emplois dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. L’objectif est toujours de construire des résistances pour lutter contre l’islamophobie et aussi demander un titre de séjour pour les femmes privées de papiers.
Comment vous situez-vous, en tant que personne blanche, dans des groupes antiracistes essentiellement composés de personnes non blanches ? Comment est-il possible de ne pas reproduire des dominations néocoloniales, paternalistes, racistes dans de tels contextes ?
Il est impossible de ne pas reproduire les dominations néocoloniales. La société est structurée sur ces dominations et nous faisons, les uns et les autres, partie de cette société. Pour moi, il y a un principe fondamental : ne jamais discuter dans le collectif de ce qui est décidé par des personnes racisées (1). Egalement, si j’ai un doute pour conseiller une personne, je vais demander à mes amies soufis, chiites, sunnites, ce qui est religieusement possible. Par exemple, une jeune femme victime de violence est enceinte de trois mois : peut-elle avorter quand elle y est incitée par des pressions d’associations de femmes blanches ? Religieusement, c’est impossible, et c’est cela qui doit être respecté, et si moi, en tant que Blanche, je me ramène avec mes théories, je brise la vie d’une personne. Car cette femme n’est pas seule. Son enfant sera aussi l’enfant de ses frères, de ses sœurs, de ses parents. A aucun moment elle ne sera abandonnée. Il lui faut faire le chemin que doivent faire toutes les femmes victimes de violence et qui prend du temps : quitter l’homme violent.
S’il ne faut pas vendre d’alcool, on n’en vend pas. S’il ne faut pas, dans une action en soutien au collectif, faire des jeux de hasard, on n’en fait pas.
Si j’accepte de me dire que ma position de Blanche constitue un avantage dans la société, je vais obligatoirement pouvoir partager beaucoup avec des personnes racisées. Même si je suis une Blanche pauvre. A l’inverse, si je suis une personne racisée, ma couleur de peau, mon nom ou ma religion, mon groupe d’appartenance ou ma culture vont devenir un handicap majeur pour négocier même un RSA, avec le groupe dominant blanc.
Quelles pistes voyez-vous pour « décoloniser nos milieux militants » en général ?
Des groupes de réflexions de Blancs et de Blanches sur le racisme intériorisé ont émergé. De fait, je pense que c’est encore un moyen de développer une stratégie de pouvoir en se retrouvant dans l’entre soi pour se donner bonne conscience et enrichir une fois encore son capital social.
Les indigènes, les personnes racisées, les peuples que nous avons opprimés par le colonialisme, et que nous opprimons encore par le néocolonialisme, s’organisent : ils n’ont pas besoin de nous, ils n’ont pas compté sur nous partout dans le monde pour mener leur combat.
Nous avons toujours minimisé ou ignoré les luttes des indigènes, et par conséquent, nous sommes incapables de les reconnaître. La libération, ce n’est pas l’oppresseur qui la donne, c’est l’opprimé qui se bat pour l’avoir ; alors, que la gauche et l’extrême gauche le veuillent ou non, cette libération se fera sans eux et sans elles, une fois encore.
C’est notre orgueil et notre esprit colonial qui nous font croire que nous devons changer ou lutter pour eux et pour elles. C’est pour nous que nous devons lutter, nous qui sommes soumis.e.s au capitalisme et au patriarcat blanc malgré les apparences trompeuses données par les militant.e.s. C’est contre ce capitalisme et ce patriarcat que nous devons lutter pour ne pas être écrasé.e.s par une Europe néolibérale qui élimine tout ce qui la dérange, dont nous, et ce pendant que nous nous occupons de voile, d’islam ou de je ne sais quoi. Nous devons nous engager sans condition à coté des indigènes, des Rroms et autres, pour inventer un autre monde où la richesse des religions, des cultures, des autres modes de pensée pour aborder le fonctionnement de notre esprit seront tous respectés. Et c’est ce respect qui permettra de mettre hors d’Etat de nuire tous les obscurantismes.
Propos recueillis par Guillaume Gamblin
(1) Ce terme de « racisé-e » fait débat à Silence. Selon la sociologue Horia Kebabza, pour un groupe, faire l’objet d’une racialisation, c’est être perçu par la société dominante comme appartenant à une race différente. C’est le cas des Arabes et des Noirs dans notre société. Ce terme de « racisé-e » parle de la perception qu’a la société dominante d’une personne. Voir Silence no 411, dossier Déraciner le racisme, p.11.
« Sauf exception bien sûr, les blancs.ches mettent toujours des conditions, des préalables pour agir avec des personnes racisées et/ou musulmanes. Changer le titre d’un débat proposé quand il s’agit d’islamophobie, ne pas accepter une condition indispensable pour les femmes musulmanes comme ne pas vendre d’alcool, avoir des exigences spécifiques et restrictives comme préalable à la participation à une réunion… »
Parrainages pour Wahiba
- Hélène Vincentini nous a demandé de faire passer un appel pour Wahiba, femme privée de papiers en France, sans aucune ressource, hébergée avec ses deux jeunes enfants dans une structure d’accueil. Un comité de soutien l’accompagne dans la création d’un emploi aidé pour obtenir un titre de séjour. Pour parrainer ce projet, il est possible d’envoyer chaque mois un chèque de 5€ ou plus en prenant contact avec Hélène à l’adresse generations.spontanees.31@gmail.com.