En mars 2013, le directeur de la Direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), le « patron » de l’arme nucléaire est auditionné par les députés. Question d’un député : « Monsieur le directeur, donnez-nous un exemple où l’arme nucléaire a servi au président de la République ». Réponse du directeur : « La dissuasion, (...) elle sert tous les jours au président ». Tous les jours ? De quel genre de service peut-il s’agir ?
Selon un psychothérapeute, l’état d’esprit général donne les attributs de la puissance à l’arme nucléaire. C’est au niveau du symbolisme. Les rapports de force vont être du dominant au dominé, celui qui dispose de l’arme nucléaire va se penser le dominant. L’arme nucléaire, héritage du « père » (De Gaulle qui a crié « hourra » lors de l’explosion de la bombe) ne peut être remise en cause sans traumatisme. Enfin l’empire colonial perdu trouve un ersatz avec cette arme censée dominer la planète.
L’avis d’une psychologue : pour les dirigeants comme pour les dirigés, la bombe atomique est une arme comme les autres, certes la plus puissante. Ils refoulent l’idée de sa spécificité et qu’un dérèglement technique ou humain puisse entraîner la fin de l’humanité. Le refoulement de cette idée anxiogène leur évite d’avoir à repenser les bases de leur sécurité. Cette incapacité à penser la spécificité de la situation est renforcée par le fort mimétisme ambiant, caractéristique psychologique de notre époque où l’image est dominante.
Pour Madeleine Caspani-Mosca, psychanalyste, un groupe, quel qu’il soit, peut fonctionner sur un mode « évolué » (un groupe de travail par exemple), ou sur un mode plus « primitif » où le sentiment de persécution prédomine et conduit à la haine, la haine à la persécution et la persécution à la terreur. Or, ce qu’un individu seul, dans la plupart des cas, ne se permettrait pas, un groupe peut le mettre en œuvre : agression, destruction.... sans honte ni culpabilité. Chez un individu, cela serait considéré comme fou ou criminel. Le phénomène adaptatif, présent en chacun de nous, repose sur le besoin de sécurité, de certitude, d’être reconnu et accepté, parfois à n’importe quel prix. L’aspiration à un état a-conflictuel peut entraver notre capacité de penser, d’être responsable et de faire des choix. Si cet état mental particulier de malléabilité et d’adaptation s’installe comme un mode de vie, il entraîne l’engourdissement de la conscience et la perte de la subjectivité. Comment accepter la notion de « Mégamorts » en cas de guerre nucléaire ? Dans une note au Président Kennedy, Robert Mac Namara affirmait que pour l’Air Force la perte de 50 millions de vies d’Américains en cas de contre-attaque soviétique était acceptable. On retire à l’autre tout caractère d’humanité pour pouvoir l’annihiler sans éprouver la moindre honte.
Une conclusion ?
Devant l’incapacité de la violence à rétablir la justice et la paix, nous sommes contraints à mettre en œuvre la non-violence pour résoudre nos conflits. Les tenants de l’arme nucléaire auront-ils le courage de faire une analyse psychologique ?
Dominique Lalanne
Physicien nucléaire retraité, co-président de Armes nucléaires STOP
do.lalanne@wanadoo.fr