Pourtant, au sein d’une société dominée par les hommes, la multiplication des partenaires d’une femme n’est pas toujours perçue avec bonheur. Relents de don Juan et de marie-couche-toi-là... Elle, d’avantage que lui, fait face à l’opprobre et constate la négligence et l’éloignement de ses partenaires. C’est que, décemment, comment se lier sérieusement avec une femme si peu sérieuse ? Une femme qui doit éprouver sa force, à la fois pour assumer ses choix, et pour résister aux doutes et aux délaissements. La libération affective et sexuelle n’implique malheureusement pas toujours la justice affective et sexuelle. Pouvons-nous espérer que le regard de la société s’améliore ?
Nurja, 37 ans, vit seule. Ses choix de vie s’articulent autour du respect des êtres vivants et de l’absence de souffrance. Ils passent par la simplicité volontaire, le cohabitat, le vélo, le végétalisme, le travail à temps partiel... et le polyamour.
Comment vivez-vous vos relations affectives ?
Mes ami(e)s proches savent que je suis non exclusive, et les personnes avec qui une relation « amoureuse » se dessine sont mises au courant avant qu’elle ne débute. Certains n’y sont pas prêts. De mon côté, je ne veux pas d’une relation dont le fonctionnement ne me convient pas (exclusivité ou plan cul).
Parfois, des amis prétendent que c’est parce que je n’ai pas rencontré « le bon » que je ne suis pas exclusive. Comment faire comprendre que la question n’est pas là ? Qu’on peut être à la fois fou d’amour pour une personne et ouvert à d’autres rencontres ?
La façon dont vous vivez vos relations affectives est-elle pour vous un acte de liberté ?
Je me sens libre de ne pas suivre les normes à bien des niveaux, et donc de vivre mes relations amoureuses d’une manière qui me convient. Cela dit, le polyamour est surtout le choix d’adopter ce qui est juste et bon pour moi, d’être cohérente avec mes valeurs, mon ressenti, ma réalité.
Même si, quelque part, je n’ai pas vraiment le choix — je me sens mal dans l’exclusivité alors que le polyamour me permet de m’épanouir —, il s’agit d’une décision forte.
Vivre des relations affectives multiples a-t-il pour vous un sens politique ?
En tant que féministe, j’ai envie de répondre simplement : « le privé est politique ».
Oui, cela a du sens de dire qu’on ne veut pas posséder quelqu’un, qu’on préfère le partage, la diversité. Oui, cela a beaucoup de sens d’oser déconstruire les normes, de se rendre compte que plusieurs façons de fonctionner peuvent être également valables, que nous ne sommes pas tous obligés d’être identiques.
Et cela a aussi du sens de dire que les envies, les besoins — relationnels et sexuels — des hommes et des femmes ne sont pas différents en soi.
Pensez-vous qu’une femme polyamoureuse est perçue différemment d’un homme polyamoureux ?
Clairement oui. D’un côté, « une salope incapable de s’occuper de ses enfants », de l’autre « un homme dont il faut comprendre les besoins ». Hum…
Côté situation vécue, beaucoup d’hommes sont O. K. pour ne pas être exclusifs (et que je ne le sois pas, mais si je l’étais, ce serait beaucoup mieux), mais par ailleurs, ils ont une compagne... à qui ils promettent l’exclusivité. Quand je devrais comprendre que toutes les femmes ne sont pas prêtes au polyamour, je réalise surtout que certains hommes ne sont pas prêts à assumer leur comportement. Aujourd’hui, je n’entre plus en relation avec une personne qui me demande de cacher les choses.
Voilà dix ans que Jean, 69 ans, vit seul. Depuis trois et neuf ans, il entretient deux relations privilégiées, et se lie également avec d’autres femmes.
Comment vivez-vous aujourd’hui vos relations affectives ?
Sereinement ! Toutes les femmes qui partagent des moments de vie avec moi savent, depuis notre première rencontre, comment j’envisage les relations. A fortiori, après plusieurs années de relation, elles ont appris à me partager avec d’autres. Certaines, vivent, comme moi, plusieurs relations. D’autres, non.
Certaines femmes qui passent dans ma vie et sont foncièrement monogames, le temps du « coup de foudre » passé, ne supportent pas de me partager. Dans ce cas, elles vont vivre d’autres relations, plus conformes à leur façon d’envisager la vie.
Vous sentez-vous féministe ?
Je me sens féministe mais je ne considère pas que ma façon de vivre les relations ait un rapport avec cela. Par contre, parmi les éléments cités par la plupart des êtres qui pratiquent les relations multiples, nous trouvons le principe de « réciprocité ».
Pensez-vous que l’indépendance soit indispensable pour vivre des relations affectives multiples ?
Indispensable ? Non, mais…
Je pense que l’indépendance matérielle offre pas mal d’avantages dans la façon de vivre les relations.
Je vis, pour l’instant, des relations avec des femmes ayant leur propre résidence. Je possède aussi un appartement où je vis seul. Ces femmes et moi pouvons donc nous voir sans nous cacher, soit chez moi, soit chez elles.
D’autre part, peut-on vraiment parler de relation s’il n’existe aucune dépendance affective ? Chez certains, ce type de dépendance peut être assez fort. A tort, dans l’absolu, car notre bonheur relatif, ne devrait pas dépendre de la présence de l’autre, mais surtout de nous-mêmes. Pas de chance, nous ne sommes pas des êtres parfaits.
Nurja est interviewée dans l’émission Être libre de vivre sa vie sur la radio Polyplaisir des utopies. En ligne sur le site www.polyamour.be .