Dossier Alternatives Santé

Jardin de petits miracles (un)

Alice Le Roy

A Maule, dans les Yvelines, des personnes atteintes de lésions cérébrales se retrouvent chaque semaine pour jardiner dans l’enceinte d’un foyer médicalisé. Engagés depuis plus de quinze ans dans des expériences d’hortithérapie, Anne et Jean-Paul Ribes, qui ont fait germer le projet, apportent la démonstration qu’un jardin peut aider à tenir debout

Il est souvent question de miracles dans le jardin d’Epi-Cure. A première vue pourtant, rien ne prédispose la maison des Aulnes à l’exceptionnel. Comme dans tant d’autres résidences médicalisées, une voix qui grésille dans un interphone ouvre le portail télécommandé, et après un parking triste et vide, on pénètre dans un hall d’accueil clair, propre et impersonnel. Pas de jardin à l’horizon. Il faut encore traverser le bâtiment, longer une terrasse, puis descendre vers une clairière, à la lisière d’un bois : voilà l’entrée.
A pied ou en fauteuil roulant, les pensionnaires passent un portique en bois et s’avancent vers la serre. Anne les y attend. Elle a le regard rieur mais le ton ferme : « Allez. On y va. »
Helena, jusque-là un peu hésitante, décide de rempoter des boutures sous la serre. Cédric vient chercher des outils, tandis que Bruno est déjà parti plus loin, planter le long de l’allée. Il y a un peu d’ébullition dans l’air : une équipe de la fondation Truffaut, mécène du jardin, est là aussi pour recueillir les témoignages des jardiniers. Jean-Paul, le mari d’Anne, bavarde avec ceux qui sont là mais qui n’ont pas la force ou l’envie de jardiner. Depuis les années 80, Anne et Jean-Paul Ribes habitent la commune de Maule. Jean-Paul est alors grand reporter, Anne est infirmière. Ensemble, en 1997 ils fondent l’association Belles Plantes, dont l’objectif est de créer des jardins « guérisseurs » dans les hôpitaux. « Il y a cinq ans, quand nous avons appris qu’un établissement de soins allait être construit de l’autre côté de la route, nous avons décidé d’écrire au directeur pour offrir nos services. A notre grande surprise, il a tout de suite accepté la proposition. »

« Certains enfants se retrouvent comme ‘branchés’ sur les plantes »

On devine qu’il n’a pas toujours été aussi simple de franchir la porte des établissements de soins… Le premier « potager fruits-fleurs » porté par Belles Plantes est né à la fin des années 90 dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. « Grâce à la confiance du Professeur Basquin, responsable du service de pédopsychiatrie, j’ai pu démarrer un atelier de jardinage avec des enfants autistes », raconte Anne. Accueillis en hôpital de jour, les enfants passent une ou plusieurs après-midi par semaine entre les quatre murs du service. « A l’époque, en emmenant les enfants dans cet espace de seulement 50 mètres carrés, j’ai vu que le contact avec les éléments, l’eau, la terre, le froid, le chaud, au rythme des saisons, avait un effet vraiment très bénéfique. Certains enfants qui crient tout le temps se retrouvent comme ‘branchés’ sur les plantes. Un arbre, une fleur, ils trouvent là quelque chose qui les apaise. Et ce quelque chose vit… »
Dès lors, Anne Ribes est convaincue que les personnes hospitalisées, mais aussi les équipes soignantes dont elle fait partie, ont tout à gagner de ce type d’expériences. « Le contact avec la nature améliore la vie quotidienne en créant une médiation entre les soignants et les soignés. Il permet aussi de souffler un peu par rapport à la prise en charge par des techniques médicales de plus en plus sophistiquées. » Mais elle constate bien vite qu’en France, les initiatives comme le jardin de la Salpêtrière font figure d’exception. Tandis que les effets positifs de l’hortithérapie sont reconnus depuis longtemps dans les milieux hospitaliers d’Allemagne, d’Angleterre et des Etats-Unis, les médecins français, eux, sont généralement ignorants de ses bienfaits. En 2003, Anne Ribes organise une rencontre voulue comme le point de départ d’un réseau d’établissements pratiquant l’hortithérapie : « Hôpital vert ». Mais les échange restent sans suite : faute de programmes de recherche qui apportent la preuve de l’efficacité des jardins dans le parcours de soins, le choix de créer un jardin à but thérapeutique reste du ressort de chaque hôpital, voire de chaque service. La réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, et les contraintes budgétaires de plus en plus fortes qui pèsent sur la Sécurité sociale, balaient ensuite bien des projets qui ne sont pas considérés comme vitaux pour la guérison des patients.
A Maule pourtant, une seule après-midi passée aux côtés des jardiniers de la maison des Aulnes suffit à constater les vertus du jardin. Les résidents, le plus souvent victimes de traumatismes crâniens subis lors d’accidents de la route, ou des conséquences d’accidents vasculaires cérébraux qui ont fait basculer leur vie, retrouvent là une nouvelle forme de mobilité, un nouvel équilibre. Ce constat est partagé par Stéphane Lanel, éducateur au centre, qui photographie chaque semaine les ateliers de jardinage. « Quand je montre les photos aux kinésithérapeutes et aux ergothérapeutes, ils sont souvent étonnés de voir que les patients trouvent par eux-mêmes de nouvelles positions, dans lesquelles ils sont bien. »
Parfois, certains progrès s’apparentent à de petits miracles. Helena, qui ne tient debout qu’en s’appuyant à un mur ou à un poteau, jardine devant nous à pleines mains. « Il n’y a rien de miraculeux là-dedans, affirme-t-elle. Avant l’atelier d’Anne et Jean-Paul, je trouve qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. Ici, je me sens vraiment bien. » « On ne s’ennuie pas », renchérit Cédric, qui caresse le rêve de devenir jardinier. Plus loin dans l’allée, Laurent, qui ne se déplace qu’en fauteuil roulant, se tient lui aussi debout, penché depuis vingt minutes au-dessus d’un bac surélevé où il repique des salades. Le fauteuil n’est pas bien loin, mais il est derrière lui et ne barre plus l’horizon. Elisabeth, une résidente qui se dit « fan » du jardin, répand sa bonne humeur en lançant des plaisanteries à la cantonade.
Parcourant l’allée en tous sens, Anne, de sa voix chantante, prodigue conseils et encouragements. Elle se comporte en soignante aussi, en veillant à ce que les efforts des jardiniers soient mesurés. Tout a été étudié pour créer un espace facile à occuper pour des personnes qui ont des difficultés à se mouvoir, à mémoriser, parfois même à communiquer. L’allée, en courbe, permet la circulation en fauteuil roulant, et certains bacs joliment recouverts de fascines (fagots de branchage) en osier sont surélevés pour permettre de jardiner assis. Les travaux de terrassement et d’aménagement, confiés à une entreprise, ont été menés selon l’avis des animateurs et des jardiniers passionnés. Mais les promeneurs et les rêveurs n’ont pas été oubliés : la création d’un espace à l’ombre incite d’autres personnes, résidents ou membres de l’équipe soignante, à passer au jardin en dehors des heures de l’atelier.

Changer de regard sur soi

Le changement de regard des personnes cérébro-lésées sur elles-mêmes est ce qui frappe le plus : une fierté et une joie émanent des jardiniers, loin de l’image de l’aphasie ou de la dépression qui caractérise généralement les personnes victimes d’un accident de la route ou d’un accident vasculaire cérébral (AVC). « Avant, les jardiniers de la maison des Aulnes regardaient passer les promeneurs avec envie. Maintenant, ce sont les promeneurs qui trouvent que nous avons de la chance », raconte Stéphane Lanel.
Si jardiner régulièrement a des effets spectaculaires sur l’humeur des pensionnaires en offrant un lieu de sociabilité et de contact avec les éléments naturels, le maniement des outils permet aussi d’améliorer la motricité fine : l’atelier de jardinage offre une sorte de prolongement des séances de rééducation avec les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes et permet d’éprouver, dans une situation réelle, les progrès accomplis.
Le succès d’une initiative comme celle du jardin d’Epi-Cure pose la question de la généralisation de ce type d’initiative à l’ensemble des établissements de soins en France. Plutôt que de donner systématiquement la priorité, comme aujourd’hui, au béton et aux parkings, en ne laissant aux personnes hospitalisées, à leur famille et à leurs amis que quelques bancs posés sur de tristes carrés de pelouse, pourquoi ne pas créer des jardins de soins ? « L’Académie de médecine affirme qu’il manque encore des études apportant la preuve des bienfaits thérapeutiques des jardins, répond Jean-Paul Ribes. Alors, plutôt que de s’en désoler, qu’elle les fasse ! », lance-t-il.
C’est la fin de l’atelier. Les pensionnaires et l’équipe des soignants se retrouvent sous la pergola pour bavarder et partager le goûter. Jardiner pendant plus d’une heure, cela ouvre l’appétit : la brioche et les confitures maison remportent un franc succès, tout comme la drôle de boisson rouge sang qu’Anne a apportée : du jus de betterave lactofermenté. « C’est délicieux », dit Elisabeth. « Et ça a un effet miraculeux sur les intestins », précise Anne. Dans le jardin d’Epi-Cure, les petits miracles ne sont jamais loin …

Alice Le Roy

La Maison des Aulnes, allée des Orchidées, 78580 Maule

(Se former aux jardins de soin
Alors que la pratique des healing gardens, ou jardins de soins, progresse aux Etats-Unis et que la « thérapie horticole » est enseignée dans de grandes universités nord-américaines et scandinaves, la France en est toujours au stade expérimental. Mais les demandes de création de jardins et d’activités destinées aux résidents d’institutions de soins augmentent régulièrement.
Une formation est proposée chaque année, début avril, par Anne et Jean-Paul Ribes, dans le domaine de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). Associant plusieurs animateurs de jardins de soin, elle permet d’apprendre à concevoir un jardin et à le faire fonctionner dans la durée.
Renseignements pour la formation 2014, qui se déroulera du 8 au 10 avril : http://www.domaine-chaumont.fr/pdf/formations/3-AVRIL/3-jardin-sante.pdf)

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