Avec son conjoint et ses deux enfants, Christelle dépose son pique-nique sur la table. Au programme, poulet, chips et pomme. Tous s’aperçoivent que sur cette aire au cœur de la forêt médocaine, il manque quelque chose. Les poubelles ont disparu. « On s’arrête là d’habitude et il y a toujours des poubelles ». Un peu gênée, la famille promet de repartir avec ses déchets pour les déposer dans la prochaine poubelle qu’ils croiseront. L’aire de pique-nique, quant à elle, ne s’en porte pas plus mal. Bien au contraire. Seuls quelques mégots restent au sol.
L’absence de poubelles n’est pas due au hasard. C’est un choix fait par l’Office National des Forêts (ONF). A la place des poubelles, des panneaux et des aquarelles sont installés. Ils incitent à respecter au mieux les lieux.
Les poubelles attirent les ordures…
Ce test est pratiqué depuis deux ans sur les zones touristiques les plus sales d’Aquitaine. Des parkings d’autoroute, des aires forestières, des sites proches des plages où les poubelles débordaient. « Plus vous mettez de poubelles, plus les gens mettent d’ordures » affirme l’initiateur de ce programme Jean-Marie Labadie. « On n’arrivait plus à ramasser les ordures en forêt, continue le technicien de l’ONF, on a mis des installations pour le confort des gens, pour leur pique-nique et les gens se sont habitués à ce qu’on nettoie derrière eux. C’était très onéreux et c’était sans compter sur Dame Nature ».
… Les ordures attirent les animaux
Les animaux se servent régulièrement dans les poubelles. Les sangliers, les oiseaux, les chiens errants et les chats éventrent les sacs et éparpillent les déchets sur la route et dans les bois. « L’aspect était désastreux » déplore Jean-Marie Labadie. Une idée germe, alors, chez lui. Si on retire les poubelles, on évitera les déchets. Un tel dispositif avait déjà été testé dans les forêts périurbaines autour de Paris. Il restait donc à l’adapter dans le Grand Sud Ouest et à convaincre les autorités locales. Même si on lui fait vite confiance, Jean-Marie Labadie avoue que « tout le monde était un peu dubitatif ». Le public est, lui aussi, surpris. A la place des poubelles, il est accueilli par des aquarelles qui s’inspirent librement Des sangliers d’Uderzo. Assis sur la plage, un sanglier ironise : « Les vacances ne sont plus ce qu’elles étaient depuis qu’ils emportent leurs poubelles ».
Dix fois moins de frais d’entretien !
L’amélioration ne se fait pas attendre. « Sincèrement, j’ai été bluffé par les résultats. Quand on retire les poubelles, on rend les gens responsables ». Conséquence, le travail de propreté devient plus exigeant. Une importante économie budgétaire est constatée. « Là où je dépensais cent euros avant, je dépense dix euros aujourd’hui. On fait un gain financier intéressant et on peut mettre cet argent dans la lutte contre l’érosion maritime, dans l’information sur l’environnement, la restauration de bâtiments en forêt, des concerts, des conférences. On pourrait faire travailler autrement les gens qui ramassent les poubelles. Parce que, quand j’ai commencé comme ouvrier à l’ONF, je ramassai les poubelles ; je n’ai jamais trouvé ça dégradant mais je ne peux pas dire que j’ai trouvé agréable de ramasser des poubelles qui ont passé la journée sous 30° ». Jean-Marie Labadie promet même qu’il emploie désormais plus de monde sur des tâches plus valorisantes, comme celle de la découverte de sentiers.
« Mettre les mains dans le cambouis pour que ça change »
A 55 ans, le technicien de l’ONF mise sur la responsabilité de la génération en dessous de lui. « Je crois beaucoup dans les trentenaires. Ils n’ont pas connu les Trente Glorieuses et ont une approche sociétale par rapport à la nature. Ils ne sont pas consommateurs comme nous l’étions. Ils sont prêts à mettre les mains dans le cambouis pour que ça change ».
L’objectif est désormais de généraliser le dispositif à toute l’Aquitaine et de lancer des plages sans poubelles. La première sera celle de La Jenny, réservée aux naturistes. Nettoyer les ordures sur une plage après un week-end de vacances coûte 40 000 €. « Entre la dune et la plage, il y a deux mille insectes. Si les vacanciers repartent avec leurs déchets les insectes pourront manger les micro-déchets restants. Donc, plus besoin de cribleuses qui nettoient les plages, plus besoin de ces tracteurs qui traînent des passoires, qui remuent la plage et qui tuent ce qui est vivant dans la plage. On joue sur la propreté, on fait des gains financiers, on change le comportement des gens et on arrive à lutter contre l’érosion ».
Xavier Ridon