En mars 2010, une enquête met en lumière les mauvaises habitudes alimentaires des étudiants : un sur cinq ne prend que deux repas par jour, 35 % ne mangent pas de légumes tous les jours et 14 % ne mangent quotidiennement ni fruits ni légumes (1).
A l’université de technologie de Compiègne (UTC), en juin 2010, quatre élèves créent l’association Cac’Carotte, inspirée des Amap Campus (2), pour faciliter l’accès des étudiants à des légumes de qualité, produits localement.
Avril 2013 : dans un grand hangar de l’UTC, voisin du Pic’Asso, bar étudiant servant une bière à un prix imbattable, des étudiants viennent chercher leurs paniers de légumes. L’association en distribue 160, encore trop peu au regard des 4000 étudiants que compte l’école, comme le rappelle Iris, présidente de Cac’Carotte. Et pourtant, c’est six fois plus qu’il y a trois ans, et les étudiants sont chaque semestre plus nombreux.
Un fonctionnement adapté aux contraintes des étudiants
Pour mettre en place Cac’Carotte, une étude a été réalisée, dans le cadre d’un cours sur le développement durable, pour transposer le concept d’Amap aux contraintes estudiantines. Avant de se lancer, les quatre initiateurs ont pris conseil auprès du Réseau français des étudiants pour le développement durable (3), de plusieurs Amap Campus et de deux Amap compiégnoises. Accompagnés par Nathalie Schnuriger, créatrice de Bon Appétit-Nutrisens (4) et intervenante sur leur cours, ils réalisent une étude de marché et rencontrent des maraîchers locaux. En juin 2010, ils organisent une première distribution-test grâce au soutien financier que l’université leur a versé dans le cadre du concours « Projets innovants ».
Dans son fonctionnement, la démarche s’apparente à celle d’une Amap sans en être une. Les étudiants ne payent pas directement aux producteurs mais à Cac’Carotte, qui reverse l’argent à ses fournisseurs (les Jardins du plateau picard pour les légumes, Jean-Marie Beaudoin pour le fromage, et Bon appétit pour les œufs) (5). Le panier de base, constitué de légumes de saison, est proposé au prix attractif de 27, 50 € pour 5 semaines. Les étudiants s’engagent sur cette période, plus courte que dans les Amap, mais adaptée au rythme universitaire. En complément, on peut commander 4 œufs par semaine pour 1€ de plus, et 2, 50 € toutes les deux semaines pour un morceau de tomme au cidre. Le prix du panier, plus faible que dans une Amap classique, s’explique par l’effort du maraîcher, qui tient à rendre ses produits accessibles aux étudiants. Pour lui, c’est également un moyen d’écouler des légumes de petit calibre dont il ne pourrait pas garnir les paniers destinés à des familles.
Une approche résolument alternative
Malgré ces différences, la charte des Amap reste une référence, notamment en termes de valeurs. Son nom, clin d’œil au CAC 40, rappelle la volonté de prendre ses distances avec un modèle économique en crise. Pour les fondateurs, il s’agit d’« aller au-delà d’un simple consumérisme – [ce n’est] en aucun cas une simple vente » et d’« être solidaires avec le producteur en cas d’aléas de la production » (6). Des principes réaffirmés dans les règles de distribution actuelles : « Les personnes qui bénéficient du panier Cac’Carotte ne sont, logiquement, pas de simples consommateurs, mais des adhérents à Cac’Carotte. Cela signifie que c’est grâce à eux que l’association tourne » (7).
A Cac’Carotte, le « local » est préféré au « bio » : le maraîcher s’inscrit dans une démarche d’agriculture raisonnée. La provenance locale « inspire confiance » explique Victor : un légume sale et terreux est rassurant car « on est sûr qu’il vient de la terre et qu’il n’a pas été lavé avec n’importe quoi ».
Cette recherche d’éthique dans l’acte de consommation est un pilier du projet associatif. On la retrouve dans le choix du maraîcher, une entreprise d’insertion : « Savoir que c’est avec les Jardins du plateau picard est une motivation supplémentaire : tu sais que si ton panier est moins fourni une semaine, c’est pour la bonne cause » (Victor). Dans cette association de réinsertion par l’agriculture, les paniers de fruits et légumes ne sont pas une fin en soi mais un résultat de l’activité. Il n’y a aucune assurance que les produits livrés correspondent à un idéal commercial. Mais les adhérents en ont conscience et défendent ce qui leur apparaît comme la plus-value sociale du projet.
Une association dynamique et ouverte sur l’extérieur
Pour attirer davantage d’étudiants, Cac’Carotte a développé plusieurs stratégies.
Des recettes sont directement fournies par les Jardins du plateau picard pour donner quelques idées gourmandes. Un bémol : elles nécessitent parfois des ingrédients et ustensiles dont les étudiants ne disposent pas, et requièrent un certain savoir-faire. Cela en freine certains, comme Camille (cliente du Pic’ interrogée pendant la distribution), qui dit ne pas adhérer à l’association car elle ne sait pas cuisiner. A Amiens, l’association Les Tombés de la charrette a trouvé une solution à ce problème en proposant des ateliers de cuisine adaptés aux contraintes matérielles et financières des étudiants (8). Les Compiégnois pourraient faire de même avec l’association Cook’UTC, qui organise déjà des cours de cuisine « par et pour étudiants », sans forcément utiliser des produits locaux… En attendant, deux midis par trimestre, Cac’Carotte organise des repas « locavores » au foyer de l’UTC.
Un dernier projet est né à la rentrée 2011 : un jardin partagé. Cinq cents mètres carrés, situés à 10 minutes de l’UTC, ont été mis à disposition par un professeur. Cela permet aux étudiants de renouer un contact avec la terre et d’apprendre à cultiver. C’est aussi un moyen de créer du lien avec les habitants de Compiègne et avec la vie associative locale. L’association Les Ricochets du savoir (9) participe à l’animation du lieu en transmettant des connaissances techniques aux étudiants. Les bénévoles des Ricochets – pour la plupart retraités – partagent leurs savoirs avec les étudiants dans la joie et la bonne humeur. Ouvert tous les samedis après-midi, « le jardin est en accès libre à toute personne qui souhaite cultiver un bout de terre, faire pousser des fleurs, donner des conseils de jardinage ou simplement profiter du lieu pour se détendre » (10). Alors avis aux amateurs !
Benjamin et Marie Lemay
Article réalisé par l’association UtoPic’ lors de son tour de France des alternatives (www.untchopasdecote.fr). Entretiens effectués lors de notre venue à Compiègne le 10 avril 2013. Merci à Cac’Carotte, à ses bénévoles et à Iris pour sa disponibilité.
(1) Enquête CSA sur les habitudes alimentaires des étudiants, publiée en 2010 par l’Union nationale des mutuelles étudiantes régionales (regroupant la Mep, la MGEL, la Smeba, la Smeno et la Smerep) à partir de données datant de 2009
(2) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne
(3) REFEDD, Maison des initiatives étudiantes de Paris, 50 rue des Tournelles, 75003 Paris, www.refedd.org
(4) Coopérative de restauration, 28 rue Notre-Dame-de-Bon-Secours, 60200 Compiègne, tél : 03 60 40 44 31, www.bonappetit-nutrisens.fr
(5) Jardins du plateau picard, 1 bis, rue du Tour-de-Ville, hameau d’Argenlieu, 60130 Avrechy, tél : 03 44 51 21 17, www.cc-plateaupicard.fr
(6) Extrait de leur projet rédigé dans le cadre du cours « développement durable » et disponible en ligne sur leur site internet http://wwwassos.utc.fr/caccarotte , onglet « Présentation »
(7) Voir sur le site internet de l’association, onglet « Paniers »
(8) Pour en savoir plus sur ce projet intitulé « Aliment’ton local », consultez l’article réalisé par l’équipe d’UtoPic’ sur son site internet : www.untchopasdecote.fr ou le site de l’association : www.alimentonlocal.fr
(9) Réseau d’échange réciproque de savoirs
(10) Parole de Daniel Fernex, responsable du jardin, interrogé par le Courrier picard et publiée dans un article du 20 mai 2013 intitulé : « Les étudiants ouvrent les portes de leur jardin ».