Les hortillonnages d’Amiens sont d’anciens marais transformés en champs pour la culture maraîchère depuis l’époque gallo-romaine. Une bonne partie des parcelles ne sont accessibles qu’en barque. La zone couvrait jadis jusqu’à 10 000 ha, mais il n’en reste plus 300. Les jardins sont alimentés en eau par la Somme. Aujourd’hui, seuls une dizaine de maraîchers (contre 900 il y a un siècle) cultivent encore 35 ha, les autres parcelles étant devenues des jardins d’agrément ou des friches. L’arrivée récente d’Amap et l’intérêt pour le maraîchage bio font que des projets voient le jour pour redévelopper ces zones maraîchères, avant que le tourisme ou l’extension de la ville n’emportent tout.
Mariage du maraîchage et des paysages
Les parcelles qui sont le plus proches de la terre ferme sont les plus menacées par les projets d’urbanisme. En 1990, la mairie d’Amiens préempte un terrain de 22 500 m2 qui longe une importante voie de circulation, à la limite de l’urbanisation. Le terrain reste en friche pendant une quinzaine d’années. Il est fortement inondé en 2001. Plusieurs projets d’aménagement sont alors abandonnés.
En 2006, la mairie n’a plus de projet pour ce terrain. Pascal Goujon propose alors d’y installer un jardin paysager pour l’accueil du tourisme. La mairie accepte de le vendre pour 120 000 €. Pascal Goujon, membre actif d’une association pédagogique sur le paysage, est aussi animateur d’une émission de jardinage sur France Bleu Picardie. Il lance alors l’idée d’acheter le terrain sous forme collective en cherchant mille parts à 120 €. Il prend contact avec Terre de liens Picardie (1) qui se montre intéressé mais qui explique que le projet ne correspond pas à ceux pour lesquels ils collectent de l’argent. En effet, Terre de liens a pour vocation d’aider à l’installation de jeunes agriculteurs ou de maraîchers. Le projet est donc revu : il s’agit alors d’acheter d’autres parcelles à l’abandon autour des terres de la mairie, et de développer, outre une activité paysagère et touristique, un pôle de maraîchage. L’ensemble des terrains atteint alors 27 000 m2 et il est décidé que le maraîchage se fera sur 5000 m2. Après négociation avec les différents propriétaires et la mairie, le coût de l’ensemble atteint alors 165 000 €. Terre de liens dispose déjà de 20 000 €. Une campagne de collecte de parts est lancée grâce à des émissions de radio, des articles de presse, des interventions auprès des associations potentiellement intéressées… et, en décembre 2008, la totalité de la somme est disponible. C’est pour le moment le projet financé par Terre de liens dont la collecte de fonds a été la plus rapide. L’acquisition des terrains est réalisée en mars 2009.
Terre de liens achète les terrains et les loue à Pascal Goujon selon un bail rural environnemental qui implique une « gestion en bon père de famille » (2) pour un loyer annuel de 700 €. Pascal Goujon dispose de 5 ans pour mettre en exploitation les 5000 m2 de maraîchage à gagner sur les friches. C’est fait aujourd’hui. Le reste du terrain est aménagé en circuit de visite qui accueille des œuvres d’artistes. Des bâtiments légers autoconstruits permettent de disposer d’un hangar pour le matériel agricole, d’une buvette et d’une petite écurie (pour une ânesse et une chèvre).
En bon père de famille !
Pascal Goujon avait démarré une entreprise de paysagiste qui fonctionnait au niveau local. Sa principale motivation pour se lancer dans ce projet était la possibilité d’accueillir ses enfants sur son lieu de travail. C’est aujourd’hui le cas : il travaille pour une grande part comme jardinier sur les lieux, et complète ses revenus par différentes interventions à l’extérieur, notamment pour aider à monter d’autres jardins à thèmes.
Pour démarrer rapidement, en 2009, il défriche à la débroussailleuse un chemin de découverte qui permet d’accueillir des visiteurs. Parallèlement, il retourne le terrain, laisse germer les millions de graines dans le sol pour détruire les jeunes pousses, sème des engrais verts pour enrichir le sol.
Les cultures, en bio, s’installent progressivement. La production est vendue en partie à un restaurant qui se trouve de l’autre côté de la route (3), en partie en paniers (une quinzaine pour le moment) que les consommateurs viennent chercher sur place, le reste allant aux visiteurs.
En semaine, le lieu accueille des classes d’Amiens et des communes alentour. En week-end, du 1er mai au 31 octobre, des visites sont organisées pour les adultes et les touristes.
Pour l’entretien des lieux, Pascal Goujon accueille un public en parcours d’insertion un jour par semaine. Il s’agit de condamnés à de petites peines qui viennent travailler ici comme alternative à la prison. Ces personnes se forment au bricolage (ce sont eux qui ont construits les différents bâtiments), au travail du sol, au débroussaillage… Ils découvrent ainsi le potentiel de certains métiers et tournent ensuite vers d’autres lieux d’accueil.
Sont également reçues sur place des personnes de jardins d’insertion de la région, qui viennent apprendre à entretenir le sol.
Cercles vertueux
Le nom « Jardin des vertueux » vient de l’idée des cercles vertueux. Le premier cercle a été réalisé pour l’achat collectif puisqu’il a permis de mettre en relations 70 structures différentes. Le deuxième cercle vertueux est que le jardin peut être reproduit ailleurs ; de nombreuses demandes arrivent pour savoir comment il s’est mis en place.
Pascal Goujon raconte notamment que, pour arriver sur le site, l’ânesse a fait le trajet depuis Abbeville, à 50 km de là, à pied. Le passage dans les différents villages a permis de dialoguer avec de nombreux élus intéressés par cette expérience. Pascal Goujon les a incités à mettre des terrains disponibles à disposition des candidats au maraîchage.
Le débroussaillage a été fait avec l’aide d’un ami venu avec son cheval. Ce fut l’occasion d’un reportage télévisé qui a fait connaître le projet, alors à son démarrage.
Le troisième cercle vertueux est celui de la vente des légumes en circuit ultracourt : cela fait réfléchir à nos habitudes d’achat pour les produits alimentaires.
Le quatrième cercle vertueux est que le jardin est un outil pour différents types de structure de réinsertion afin de « permettre à des personnes laissées sur le quai de remonter dans le train ».
Depuis le lancement du Jardin des Vertueux, la mairie d’Amiens a ouvert 7000 m2 de jardins solidaires pour les bénéficiaires des minimas sociaux. Pascal Goujon a été sollicité pour des tâches d’encadrement.
Relance du maraîchage… en bio
Alors qu’il y a une dizaine d’années, on constatait une baisse du jardinage, aujourd’hui la tendance s’est inversée. Autour d’Amiens existent de très nombreux jardins familiaux, appartenant notamment à la SNCF. La mairie a engagé une réflexion pour redévelopper ce type de jardin.
Elle étudie également la possibilité de mettre en place des cantines bio dans les écoles. Cela suppose des fournisseurs locaux en nombre suffisant ; une recherche est en cours pour favoriser l’arrivée de nouveaux maraîchers.
Il y a de la place dans les hortillonnages mais, lorsque les parcelles ne sont accessibles qu’en barque, cela augmente le coût de production. Alors que les autres maraîchers sont plutôt en difficulté, un seul autre maraîcher s’en sort : producteur bio, avec 5 salariés, il profite d’une demande importante, mais aussi du fait que toutes ses parcelles sont accessibles grâce à des passerelles. L’entretien des grands canaux dépend de la communauté de communes, mais les petits canaux (ou rieux) et les parcelles sont privées, donc à la charge des propriétaires.
Pour favoriser le redéploiement du maraîchage, la mairie a fondé et subventionné l’association Tro’Légumes, qui met à disposition des professionnels des barges pour passer le matériel agricole, une grue pour le curage des canaux, des caisses pour le transport des récoltes.
Interventions artistiques
Le groupe « Art nature » (4) propose, dans le jardin, des œuvres qui jouent avec le vent. Cinq artistes (deux d’Amiens, trois des environs) se réunissent sur le site une fois par mois pour préparer des installations : en octobre, des installations éphémères pour la fête de clôture du jardin ; au printemps, des œuvres plus pérennes qui doivent durer tout l’été. Ils s’obligent à réaliser des œuvres qui se marient avec le paysage, et à utiliser des couleurs qu’ils trouvent dans les terres du site.
Parallèlement, Martin Hirsch, quand il était au gouvernement, a lancé un appel d’offre pour réaliser des festivals liant patrimoine et éducation. La ville d’Amiens a proposé le festival Art, villes et paysage dans les hortillonnages, qui a été retenu (5). La première année, le festival s’est tenu dans le Jardin des Vertueux. Il est maintenant organisé dans l’ensemble des hortillonnages.
Art, insertion, culture, maraîchage, environnement, paysage… Le résultat est aujourd’hui de toute beauté. Laissons le mot de la fin au père de Paco : « C’était un projet fou, mais finalement une rudement bonne idée. »
M. B.
(1) Terre de liens Picardie, 3, avenue du Pays-d’Auge, 80000 Amiens, tél : 03 22 41 56 62, picardie@terredeliens.org
(2) Terme juridique présent dans la loi, qui reste bien sexiste en ce domaine !
(3) La Table des marais, menu assez cher.
4) Né d’un ancien collectif, Les jardiniers du vent, qui suivait les festivals de cerfs-volants
(5) www.artvillespaysage.com
• Le Jardin des Vertueux, Pascal Goujon, face au 472 chaussée Jules-Ferry, 80000 Amiens, tél : 06 61 40 42 31, www.lejardindesvertueux.fr
Autour du Jardin des Vertueux
• Amamus, 9 rue d’En-bas, 02260 Gergny, tél : 03 23 98 79 64, http://amamus.fr, pépinière bio
• Les Jardiniers de la Plume, 46 rue de la Plume, 80100 Abbeville, tél : 06 83 41 93 00 ou 06 01 97 43 40, www.lesjardiniersdelaplume.fr. Œuvre pour le maintien des jardins collectifs et la création d’un projet pédagogique et social autour de l’ancien site maraîcher de 3,5 ha de Saint-Gilles.
• Willy Vindevogel, rue de Proyart, Montdidier, 80118 Le Quesnel. Maraîcher bio, producteur de légumes de plein champ sur 5, 57 ha appartenant à la Foncière Terre de liens (lentilles, haricots, pois chiches, pois cassés, carottes, pommes de terre, etc.) Fournisseur de deux AMAP, à Roye et à Moreuil.
• Association pour la protection et la sauvegarde du site et de l’environnement des hortillonnages, 54 boulevard Beauvillé, 80000 Amiens, tél : 03 22 92 12 18, apsseh@wanadoo.fr