On l’a prétendu « européen » bien que conçu par Areva, une entreprise d’État française associée à Siemens qui a ensuite abandonné la partie ; « nouveau » alors qu’il emploie la technique américaine du PWR, à eau pressurisée, comme les réacteurs construits dans les années 1970-1980, étant seulement plus puissant (1650 mégawatts) ; « moins dangereux » parce qu’un cendrier devrait permettre de récupérer le curium du réacteur en fusion, ce qui pourtant n’exclurait pas l’accident majeur ; « réducteur en quantité de déchets », le combustible devant être utilisé plus longtemps, moins renouvelé, bien que beaucoup plus contaminé et plus difficile à gérer.
Aucun « intérêt général »
L’EPR est de fait inutile car la production d’électricité nucléaire « en base », en surcapacité en France, est vendue, souvent à perte, à l’extérieur. En raison du « tout électrique », c’est le manque de production de pointe fournie par l’hydraulique et autres renouvelables, plus le thermique classique alors acheté à l’étranger (Allemagne, Grande-Bretagne) qui posent problème !
L’EPR n’a été engagé que pour servir de vitrine commerciale à Areva et à EDF, qui cherchent à le vendre à l’étranger, avec le peu de succès que l’on sait : jusqu’à aujourd’hui, on compte plus d’effets d’annonce que d’engagements tangibles.
Il s’avère très coûteux : estimé à 1, 8 milliards d’Euros en 1998 quand EDF envisageait d’installer un EPR près de Nantes, chez Ayrault, il a été réestimé à 3, 3 milliards au cours de l’enquête publique de 2006 pour celui de Flamanville, à 6 milliards en 2011, et aujourd’hui 8, 5 milliards ! Un énorme surcoût dû notamment aux diverses malfaçons et erreurs techniques (de la canalisation des rejets à l’affaire des consoles, en passant par les ferraillages, soudures, bétons défectueux…). Combien coûtera-t-il en 2016 ? Et combien devra-t-on payer le kWh produit par ce réacteur ?
Enfin, l’EPR est par-dessus tout dangereux, comme tous les réacteurs de même type : risques d’accidents dus à un manque de refroidissement, une explosion d’hydrogène, une chute d’avion, un attentat, etc.
Fukushima aurait dû provoquer une révision de la politique énergétique française, d’autant que l’EPR prévu pour fonctionner en 2012 a déjà quatre ans de retard, selon les dernières prévisions d’EDF. Mais le gouvernement socialiste perpétue la politique nucléaire de Sarkozy. Même s’il a déclaré qu’il réduirait la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 % À 50 % d’ici 2025, aucun signe n’a encore été donné dans ce sens. Au contraire, l’arrêt des vieux réacteurs de Fessenheim a été reporté à fin 2016, au moment de la mise en marche prévue pour l’EPR. De même, la construction du couloir de lignes THT vers les pays de la Loire continue, avec un passage en force policier.
Enfumage et urgence cachée
Cerise sur le gâteau nucléaire, le gouvernement a lancé un nouveau débat sur la transition énergétique, sous la houlette de pro-nucléaires notoires, selon la bonne vieille tactique pourtant très usée du « cause toujours, les choses sont déjà décidées ». Le 16 janvier 2013, Hervé Machenaud, directeur exécutif d’EDF, déclarait à Flamanville : « l’EPR est en passe d’être un succès industriel. Le risque d’un nouveau dérapage des coûts ou des délais est désormais infiniment faible (…) L’EPR entrera en service en 2016 et le budget sera tenu » (1). Oubliés, les aléas techniques, le retard de quatre ans sur le planning, la dérive colossale des coûts, les conditions de travail plus que contestables (sous-traitance en cascades et contrats douteux, notamment pour les travailleurs polonais et roumains).
Que cachent ces déclarations ? Sûrement un gros mensonge par omission : que tout sera fait pour que l’EPR entre en service coûte que coûte en 2016 et, au plus tard, dans les trois premiers mois de 2017. La raison ? Le décret de création (2), daté du 10 avril 2007, précise dans son article 3 : « le délai pour réaliser le premier chargement en combustible nucléaire du réacteur est fixé à dix ans à compter de la publication du présent décret au Journal officiel de la République française. Ce délai constitue le délai de mise en service ». En clair, si la date du 11 avril 2017 venait à être dépassée, le décret ne serait plus valable et il faudrait sans doute relancer toute la procédure administrative (débat public, enquête publique, etc., avec toutes les conséquences que l’on imagine en terme de coûts et de retards) (3). Aussi, prenons le pari : en bon état de marche ou non, le réacteur démarrera avant la date butoir du 11 avril 2017, quitte à être arrêté quelques jours après !
Dépendance mais profits
Mais avec quel combustible ? On ne le sait toujours pas clairement : à l’origine, il était prévu d’employer du MOX, plus riche en plutonium (de 11 % à 13 % au lieu de 7 %) et, en outre, pour 100 % du combustible au lieu de 30 % dans 21 réacteurs de 900 MW. Or EDF, toujours aussi peu favorable à la filière plutonium, a étudié un uranium plus enrichi avec un renforcement des gainages « dopés » au chrome, peu probant aux essais. EDF aurait donc choisi, pour le moment, un démarrage à l’uranium enrichi classique, comme en Finlande à Olkiluoto. C’est d’autant plus probable qu’au cours de l’été, François Hollande est intervenu pour accélérer l’extension et le pillage par Areva des mines d’uranium du Niger, au détriment de l’environnement comme des Touaregs. Et quel est le sens, aujourd’hui, de l’intervention militaire française au Mali ? Ainsi se perpétuent la pseudo-indépendance énergétique de la France et le colonialisme le plus traditionnel, avec… la France à fric.
Le changement, ce n’est pas pour maintenant ! Se perpétue le développement d’un modèle énergétique à hauts risques environnementaux et sanitaires, centralisateur, autoritaire, brutal. Il nous contraint, plus que jamais depuis Fukushima, à des actions de harcèlement, comme sur les couloirs de lignes THT Cotentin-Maine et/ou à des actions de masse. Les victoires à venir dépendent d’abord de notre mobilisation, et non des institutions d’Etat, corrompues par la pieuvre nucléaire. Cependant, même si les faits nous donnent plus que jamais raison, la partie s’avère difficile tant les enjeux sont considérables pour le capitalisme d’État comme pour le capitalisme privé. Mais prenons partout des initiatives : l’histoire a prouvé que des parties apparemment perdues peuvent à terme être gagnées !
Didier Anger
Président du CRILAN
*Comité de réflexion, d’information et de lutte antinucléaire (10 route d’Etang-Val, 50340 Les Pieux, www.crilan.fr)
(1) Voir la Presse de la Manche, Ouest France, les Echos du 17 janvier 2013
(2) http://www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20070411&numTexte=6
(3) http://observ.nucleaire.free.fr/