Politiques et entrepreneurs prétendent leur vendre ces équipements comme allant de soi, au nom de l’« attractivité du territoire » ou du « développement »… dans une concurrence effrénée avec les territoires voisins, dans une fuite en avant vers toujours plus de croissance, de développement insoutenable, tant écologiquement que socialement.
Un mouvement naissant
Des oppositions locales à certains de ces projets ont déjà une longue histoire, mais ce qui est récent, c’est l’apparition de leurs caractéristiques communes et des résistances qu’ils suscitent, en même temps que l’utilité de la mise en réseau des luttes et des alternatives. Une réflexion collective, d’abord autour du ferroviaire, a abouti à la charte d’Hendaye en janvier 2010 (1). Les nouvelles LGV, pour un coût monstrueux, offrent à quelques-uns des gains de temps minimes, au détriment de la desserte et de l’entretien de lignes régionales.
Le premier forum européen contre les grands projets inutiles (GPI), à Venaus, en août 2011, à l’initiative de No-Tav, s’est ouvert aux thématiques de transport au-delà du ferroviaire. Le deuxième forum, à Notre-Dame-des-Landes (44) en juillet 2012, a intégré la question de l’énergie et des équipements touristico-commerciaux tels que le projet d’EuroVegas en Espagne (2). Après débats, le terme « imposés » s’ajoute alors à la description, et l’appellation GPII est de plus en plus souvent reprise.
Comment caractériser un GPII ?
Qu’ont donc de commun un projet touristico-commercial comme EuroVegas (3 golfs, 12 casinos...), celui de l’aéroport de N.-D.-des-Landes, un projet d’EPR, de gare (Stuttgart), de contournements autoroutiers ?
En premier lieu, bien sûr, ils partagent des proportions pharaoniques dans au moins trois domaines : leur coût (32 milliards d’euros pour Lyon-Turin) ; leur empreinte écologique (destruction de terres nourricières et de zones humides, consommation de ressources naturelles vitales et/ou non renouvelables telle l’eau pour les golfs) ; la casse du lien social et des solidarités qu’ils entraînent (territoires fracturés…) Leur gigantisme même donne à leurs effets induits un caractère catastrophique.
En second lieu, les GPII s’avèrent le plus souvent inutiles par rapport aux besoins qu’ils sont censés satisfaire. En effet, dans la plupart des cas, les citoyens définissent des solutions alternatives, moins coûteuses écologiquement, socialement et financièrement. Peut-on soutenir un parc de casinos géant au détriment de la santé, de l’éducation ? Enfin, tous ces GPII s’inscrivent dans une logique du plus grand, plus gros, plus vite, plus centralisateur ; du plus glouton en fonds publics, en terres et autres ressources ; et bien sûr du plus juteux pour les grosses entreprises (multinationales du BTP entre autres) bénéficiaires de leur construction, et de leur gestion pour des décennies.
Mensonges, simulacres... et répression
Tous ces GPII se révèlent fondés sur le mensonge à tous les niveaux : mensonge sur les besoins (dont la réalité actuelle et l’évolution future sont grossièrement surestimés) ; mensonge (ou au moins opacité) sur les projets eux-mêmes ; mensonge sur les coûts ; mensonge sur le financement ; mensonge sur les compensations environnementales ; mensonge enfin sur les retombées en terme d’emploi. En effet, si la destruction des emplois agricoles directs et induits est rarement comptée en perte, les promesses les plus hasardeuses fleurissent ! On enjolive aussi le tableau en oubliant de distinguer les emplois provisoires liés à la construction et les emplois pérennes.
Les opposants élaborent alors une véritable expertise citoyenne, démasquant aux yeux des populations provisoirement abusées les folles promesses, et construisant des alternatives allant bien au-delà du seul problème posé. Autant d’occasions de réfléchir en termes de sobriété énergétique, relocalisation des productions et consommations, mise en œuvre de nouvelles solidarités. N’est-ce pas aux citoyens de décider démocratiquement qu’un projet est un GPII ?
Les décideurs respectent les formes administratives du débat public mais refusent obstinément le vrai débat démocratique. Il leur reste alors la criminalisation des opposants et le déchaînement d’une répression implacable, pour inscrire enfin leur nom de petit potentat local sur des équipements qui ne seront peut-être jamais utilisés, ou très vite abandonnés (3) !
Les GPII, la crise, la finance, le droit...
Pour les pays de Nord, les « opportunités » de profits les plus gigantesques sont maintenant représentées par les GPII. Faire du neuf et du moderne à la hache se révèle bien plus rentable qu’entretenir et améliorer, avec prudence et raison, des infrastructures existantes. L’Union européenne, par le biais de l’initiative Connecting Europe Facility (CEF) et des « projects bonds », promeut la privatisation et la financiarisation des infrastructures, dans une logique favorisant les spéculateurs et les investisseurs privés.
Les GPII se voient promus solutions à la crise systémique que nous vivons, en ramenant la « croissance » ; pourtant, c’est l’aggravation de la crise qu’ils engendrent, en creusant la dette et enfermant les collectivités territoriales dans des montages financiers calamiteux. Les banques se régalent d’accorder à des projets privés des prêts bénéficiant de la garantie des Etats.
Enfin, les promoteurs tentent d’arracher des dérogations inouïes aux législations théoriquement les plus solides ; ainsi pour EuroVegas à Madrid, l’autorisation d’accès des mineurs aux casinos, la modification de la loi sur le blanchiment d’argent, la casse du droit du travail...
Colosses aux pieds d’argile
A partir du local, notre réflexion collective globale a démasqué ces éléphants blancs. La mise en réseau de nos forces se poursuit, très précieuse en ces temps difficiles, d’abord fin mars 2013 au forum social mondial de Tunis (ouverture sur les grands barrages...) ; puis à Stuttgart en juillet 2013.
Ne doutons pas que ces éléphants blancs sont des colosses aux pieds d’argile et que nous pouvons les vaincre. Mais c’est le plus en amont possible, tant qu’ils sont au stade de projets, qu’il faut organiser la résistance en mutualisant nos expériences. Comme le disait Josie Riffaud (Via Campesina), à Notre-Dame-des-Landes cet été : « Globalisons les luttes, globalisons l’espoir ! »
Geneviève Coiffard-Grosdoy,
membre de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (ACIPA) et d’Attac
(1) Lisible par exemple sur www.federationalto.net
(2) Le prochain aura lieu à Stuttgart, du 25 au 29 juillet 2013, dans une ville en lutte contre les dégâts d’un grand « projet de rénovation » de sa gare.
(3) Quand ils n’y trouvent pas également un avantage financier, eux-mêmes ou leur parti...