Article Nucléaire Sortir du nucléaire

Combien coûte un accident ? Bien trop cher…

Réseau Sortir du nucléaire

En quelques années, le discours des autorités sur la possibilité d’un accident nucléaire a bien évolué. Désormais, la question n’est plus de savoir si l’accident est possible en France, toutes les institutions reconnaissant cette éventualité. Il s’agit désormais de prévoir quels seraient ses impacts, en particulier économiques.

En novembre 2012, à Bruxelles, lors du forum Eurosafe, une présentation de Patrick Momal, un économiste travaillant pour l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), révèle qu’un accident grave en France pourrait coûter 160 milliards d’euros, voire 430 pour un accident majeur [1]. Alors peu médiatisées, ces données ne sont présentées en France que le 6 février 2013, à Cadarache.
Le 10 mars 2013, la veille de la commémoration de l’accident de Fukushima, le Journal du Dimanche [2] publie d’autres extraits des travaux de l’IRSN. Selon une étude réalisée en 2007 et restée jusqu’ici confidentielle, le scénario noir de l’accident majeur pourrait atteindre… 5800 milliards d’euros [3] !
Embarrassé, Patrick Momal reconnaît que la première évaluation correspond à un scénario "médian", de type Fukushima, où les rejets ne se sont pas largement dispersés, tandis que celle de 2007 illustrerait un accident de type Tchernobyl correspondant à une dispersion des radioéléments sur un vaste territoire.
Le 26 mars 2013, l’IRSN tente de faire la part du feu en publiant dans son intégralité l’étude de 2007 sur son site [4].

Les différents scénarios accidentels

Ces différents scénarios étudient tous les conséquences d’un accident de fusion du cœur sur un réacteur de 900 MW [5].
Un accident "grave" ― c’est à dire avec des rejets "contrôlés" ― coûterait 120 milliards et aboutirait à l’évacuation de 3500 "réfugiés radiologiques". Il est décrit par l’IRSN comme une crise "gérable", et plus un chaos médiatique qu’une catastrophe radiologique.
L’accident "majeur", accompagné de rejets radioactifs massifs, lui, pourrait atteindre un coût de 430 milliards (plus de 20% du PIB français), dont 160 relevant uniquement des conséquences radiologiques. Il génèrerait près de 100 000 réfugiés radiologiques et un important surcroît de cancers. Pour l’IRSN, ces coûts seraient comparables à ceux d’une guerre régionale. L’histoire européenne serait marquée pour des décennies .
Le scénario "accident majeur" coûterait 760 milliards et génèrerait 1,5 millions de réfugiés radiologiques.
Enfin, dans le "scénario du pire", évalué à 5800 milliards, si le panache radioactif atteignait la région parisienne, il s’agirait d’évacuer cinq millions de personnes sur une zone de 87 000 km2 [6] ; les retombées de césium 137 (et d’autres éléments) toucheraient un territoire bien plus vaste, concernant près de 90 millions de personnes.

Impasses et limites des scénarios

Ces chiffres apparaissent malheureusement crédibles. Deux ans après le début de la catastrophe de Fukushima, ses coûts sont estimés entre 100 milliards d’euros [7], et 500 milliards [8], alors que l’accident n’est toujours pas maîtrisé. Quant à la catastrophe de Tchernobyl, elle aurait coûté plus de 200 milliards de dollars respectivement au Bélarus et à l’Ukraine, tandis que la Russie ne fournit aucune évaluation [9].
Le "scénario du pire" se base sur la centrale de Dampierre, située dans une zone qui n’est pas des plus denses. Quelles seraient les conséquences d’un accident au Bugey, à 35 km de Lyon, à Fessenheim au milieu de la plaine du Rhin ou à Cattenom, au cœur d’une grande région européenne ?
On remarquera aussi que les publications de l’IRSN ne se basent que sur un seul radioélément, le Césium 137, alors même que le "cocktail radioactif" projeté en cas d’accident, selon EDF, en contiendrait 747, dont certains sont bien plus dangereux et pour des périodes plus longues.
On peut aussi se demander comment ont été chiffrées les conséquences sanitaires, qui, quelles que soient les études, ne représentent qu’une part réduite des dépenses. L’IRSN justifie la limitation du nombre de cancers en prétextant que les populations limiteraient leur contamination... en boycottant d’elles-mêmes les produits suspects !
Enfin, il est évident qu’une étude purement économique s’avère bien réductrice lorsqu’il s’agit de rendre compte des conséquences. Quels chiffres peuvent en effet rendre compte de la perte du lieu où l’on a vécu, du traumatisme de l’évacuation, de la douleur des malades, de la peur de mettre au monde un enfant déjà malade ou difforme, de la perspective de la dégradation du patrimoine génétique sur des générations ? Qui pourra chiffrer les pathologies dont souffriront les "liquidateurs", tous ceux qui se sacrifieront pour contenir l’accident ? Et pas un mot sur le nombre de morts potentiels… [10].

Derrière ces études, quel message ?

La protection des victimes potentielles semble ne pas avoir été la motivation principale pour la réalisation de ces travaux. L’examen de la répartition des coûts laisse deviner d’autres préoccupations : dans les éléments rendus publics en 2012, la part des "coûts d’image" s’élève à chaque fois à environ 40 %. Pour l’IRSN, le problème ne serait donc pas la réalité des contaminations, mais "les pertes économiques à prévoir sur la non-vente de denrées ou autres biens de consommation parfaitement sains, du fait d’un boycott par les distributeurs ou les consommateurs […], les effets négatifs majeurs sur le tourisme […] et la réduction d’autres exportations". L’étude de 2007 va même encore plus loin en affirmant que "la victime de l’accident [grave], c’est l’économie française !" [11]. Pour l’IRSN l’accident grave poserait moins un défi en terme de gestion des territoires contaminés que de communication : "l’impact sur l’opinion publique serait élevé, nécessitant une capacité d’excellence en termes de communication publique et de gestion, sur une longue période, de l’ensemble des moyens publics mobilisés" [12].

Qui va payer ?

En cas d’accident, qui paiera la décontamination ? Qui dédommagera les habitants évacués, les entreprises en faillite, les agriculteurs aux récoltes contaminées ? Certainement pas l’industrie nucléaire. En effet, EDF n’est actuellement obligé de s’assurer qu’à hauteur de 91 millions d’euros. C’est donc l’État ― ou donc les contribuables, qui ont déjà dû payer malgré eux pour la construction des centrales ― qui prend ensuite le relais… jusqu’à un plafond de 345 millions d’euros. La Convention de Paris, en cours de ratification, propose d’élever le montant à la charge de l’exploitant à 700 millions d’euros… On peut donc malheureusement imaginer que faute de moyens disponibles, toutes les victimes ne seront pas indemnisées.
N’attendons pas que l’accident arrive ! Pour reprendre l’expression de l’IRSN, l’importance des coûts de l’accident devrait « militer » pour une sortie la plus rapide possible du nucléaire. Si élevés que soient les investissements nécessaires pour une réelle transition énergétique, ils seront dans tous les cas dérisoires en comparaison de ceux qui suivraient une catastrophe.

Réseau Sortir du nucléaire

[1] à titre de comparaison, l’accident d’AZF et le naufrage de l’Erika n’ont coûté "que" 2 milliards.
[2] http://www.lejdd.fr/Economie/Actualite/Exclusif-JDD-le-scenario-noir-du-nucleaire-595593
[3] Soit près de 30 fois les investissements qui ont permis la construction du parc nucléaire français (188 milliards d’euros).
[4] http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20130326_Etude-IRSN-2007-cout-accidents-nucleaires.aspx
[5] les plus anciens et les plus répandus en France.
[6] soit plusieurs régions françaises, plus de deux fois la surface de la Belgique.
[7] http://www.lemonde.fr/japon/article/2012/11/07/le-cout-de-l-accident-nucleaire-de-fukushima-pourrait-doubler_1786969_1492975.html
[8] http://www.reuters.com/article/2013/03/08/us-japan-fukushima-idUSBRE92417Y20130308
[9] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/heritage-sovietique/tchernobyl.shtml
[10] Pour rappel, selon une étude publiée par l’Académie des Sciences de New-York, la catastrophe de Tchernobyl aurait provoqué près d’un million de décès supplémentaires.
[11] Voir p.64 du rapport.
[12] http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20130219-Travaux-recherche-IRSN-cout-economique-accidents-nucleaires.aspx

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