Dossier Aménagement du territoire Environnement

Parcs de loisirs : Chambard dans les Chambarans

Quelques opposants à Center Parcs

Contrairement aux projets de centrales nucléaires, décharges, aéroports ou autoroutes, en général mal accueillis par les riverains ou les environnementalistes pour ce qu’ils engendrent de nuisances, pollutions et dangers palpables, le projet de Center Parcs, à l’ouest de l’Isère (38), se voyait au début plutôt peu critiqué, voire accepté.

Dès le départ, fin 2007, la communication de ses promoteurs fut adroitement tournée sur la « région à l’agonie », les « centaines d’emplois créés », et l’assurance d’une exemplarité sur son « impact environnemental ». Un vrai sauvetage écologiste et durable de la région ! C’est dans ce contexte qu’une opposition a dû se constituer. 
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Si ce projet voyait le jour, il s’agirait d’édifier à Roybon (1300 habitants), dans les Chambarans, en détruisant l’actuel bois des Avenières, une ville de vacances clôturée et payante de 200 ha dans laquelle seraient construits 1021 bungalows pouvant accueillir plus de 5000 touristes. N’oublions pas l’« aquamundo » qui fait le succès des Center Parcs : sous cette serre maintenue à 29 °C toute l’année, au milieu d’une végétation tropicale, autour d’une piscine à remous ou dans la « rivière sauvage », le client pourrait pratiquer de multiples activités sportives et « écologiques ». Sous la bulle, il dépenserait sans compter, au restaurant ou dans les boutiques. À l’extérieur, mais toujours dans l’enceinte grillagée, il aurait la liberté de visiter la mini-ferme que l’on aurait reproduite pour qu’il puisse apprécier une représentation de la vie paysanne que les Center Parcs contribuent à détruire. Il pourrait suivre à cheval, à VTT, ou en se glissant dans la peau d’un aventurier accrobranchiste, quelques parcours dans ce bois privatisé que l’on aurait préalablement nettoyé des arbres dont le tronc ferait moins de 30 cm de diamètre, le cahier des charges l’exigeant.

Paradis fabriqué pour juteux profits

Cette sorte de ville-camp-refuge est proposée à des touristes préférant se retrouver dans un décor et une ambiance modelés, à l’écart de la vie réelle, là où ils peuvent consommer une représentation d’un exotisme rassurant et se divertir en ayant tout à portée de main (et de portefeuille !).
La société Pierre & Vacances, qui développe ce concept de paradis fabriqué, sans voiture et sous surveillance, est avant tout alléchée par l’opération immobilière. Elle choisit les emplacements potentiels des futurs Center Parcs en « zone de revitalisation rurale » afin que les investisseurs bénéficient d’avantages fiscaux juteux. Outre la récupération de la TVA sur le bien acheté, les investisseurs et propriétaires seraient en partie exonérés de l’impôt sur les bénéfices locatifs.
Gérard Brémond, PDG de Pierre & Vacances, a toujours su jouer de ses relations au parlement pour faire voter des décrets qui lui sont favorables, décrets d’ailleurs baptisés dans les couloirs de l’assemblée « les amendements Brémond ». Il aura même réussi, cet automne 2012, à convaincre le ministre du Budget de renoncer jusqu’en 2016 à tailler dans les avantages fiscaux de la loi Scellier, dont la fin était prévue en 2012 par la loi de finance. Cet industriel habile, pour choisir un emplacement à son futur Center Parcs, a mis en concurrence deux départements : l’Isère et la Drôme.
Entre 2008 et 2009, André Vallini, président du Conseil général de l’Isère, a dû concéder, pour remporter le challenge face à la Drôme, une aide de 15 millions d’euros dont 7 millions offerts directement aux investisseurs au titre des subventions aux créateurs de gîte (7000 € par « cottage ») et 8 millions pour la viabilisation et les équipements publics. La région Rhône-Alpes, quant à elle, contribuerait à hauteur de 7 millions et la communauté de communes pour 15 millions.
Le terrain, propriété de la commune de Roybon, était jusqu’alors classé non constructible ; il a été acquis pour 0,30 € le m² alors que le m² constructible dans la région dépasse parfois 80 €… Il a suffi par la suite de modifier le plan local d’urbanisme (PLU) pour rendre possible le projet de construction. La société Pierre & Vacances pourrait ensuite proposer la vente des « cottages » sur plan à des investisseurs, à des prix exorbitants (235 000 € pour un 54 m² et 372 000 € pour 85 m²).

Oser lutter pour un territoire sans valeur marchande

Dans ce contexte de projet plutôt bien accueilli, l’opposition au Center Parcs dans les Chambarans s’est tout d’abord manifestée, dès 2008, de manière sporadique et individuelle. Le bois des Avenières ne présentant pas d’espèces « emblématiques » remarquables ou en voie de disparition, la plupart des associations environnementalistes manifestaient seulement quelques inquiétudes et suggéraient d’accompagner le projet et d’en surveiller l’exemplarité. Certaines se virent publiquement félicitées par les élus pour leur esprit constructif. Elles espéraient imposer quelques mesures rendant la construction du Center Parcs plus respectueuse de l’environnement.
C’est alors que nous, les « quelques opposants à Center Parcs », nous sommes réunis de manière informelle pour nous opposer à la construction de cette ville artificielle. Nous défendions non seulement un environnement qui se verrait dévasté (zone humide, biodiversité, nappes phréatiques, gaspillage d’eau…), mais aussi notre attachement à un territoire sans valeur marchande. Nous avons collé des affiches et rédigé des textes que nous sommes allés distribuer sur les marchés et dans les boîtes aux lettres. Un blog d’archivage (1) a été créé, réunissant des documents sur le sujet et reproduisant les textes que nous diffusions.
Nous avons alors vu paraître des témoignages de désapprobation au projet. Des pancartes hostiles furent plantées chez des riverains. Des graffitis apparurent autour de Roybon. Le panneau légal du permis de construire fut arraché. Lors de la journée organisée par Pierre & Vacances pour faire visiter l’endroit aux investisseurs, un riverain alluma dans son champ un feu de paille assez humide pour enfumer les visiteurs. Il y eut aussi quelques sabotages du travail des géomètres et notamment du bornage. On nous a rapporté que des arbres avaient été marqués de peinture comme l’étaient ceux que le cahier des charges voulait garder dans le projet, afin d’échapper à la coupe.

Refuser le « développement économique » même « alternatif »

Pour réunir cette opposition grandissante, une première promenade fut organisée sur les lieux en 2008. À sa suite, l’association officielle, « Pour les Chambaran sans Center Parcs » (3), fut créée. Très vite nous nous sommes heurtés, au sein de l’association, à une volonté marquée de proposer des alternatives : ici un tourisme un peu plus vert et un peu plus durable ; là un parc naturel régional. Certains proposant ce même projet à seulement quelques kilomètres de l’emplacement choisi par les promoteurs. Nous nous retrouvions ainsi, au sein de l’association, avec ceux qui, sous couvert de défendre un « développement économique dans le respect de l’environnement », voulaient améliorer l’ordre établi que nous dénoncions. Nous avons cependant réussi à ce que la contestation officielle, écologiste et associative, s’engage contre la construction. Ensemble nous avons décidé que l’association devait porter le projet en justice. Nous, les « Quelques opposants à Center Parcs » (QoCP), n’avions aucune illusion quant aux demandes de recours, mais cela nous donnait un temps de répit pour décider de la suite du combat. Et de fait, ces recours ont fortement contrarié les promoteurs, notamment André Vallini et le maire de Roybon, Marcel Bachasson, qui s’indignèrent vigoureusement dans la presse et lancèrent un appel à soutenir le projet.
Nous, QoCP, avons choisi, entre 2009 et 2010, de nous retirer de l’association officielle trop respectueuse d’un monde que nous condamnions pour continuer cette lutte en toute indépendance et sans compromission. Un recueil des textes que nous avions distribués a été publié sous le titre « Chambard dans les Chambarans »(2). 

« Compensations » et promesses contre loi sur l’eau

Suite à l’appel du président du Conseil général et du maire de Roybon, une association de soutien au projet, réunissant essentiellement des commerçants, organisa avec l’aide des élus quelques manifestations dont l’ampleur fut loin d’être celle escomptée.
La nervosité des pro-Center Parcs étant vive, nous devons, depuis, affronter la brutalité, les quolibets et les menaces de certains élus et commerçants lorsque nous diffusons nos textes à Roybon.
La société Pierre &Vacances a toujours préféré prendre le temps de se débarrasser de ses opposants avant de commencer les travaux. Aujourd’hui la plupart des recours ont été rejetés. Seul le dossier concernant la loi sur l’eau et la compensation des zones humides lui pose problème : selon cette manière technocratique de gérer le monde, il est demandé à Pierre & Vacances de compenser les 60 ha de zones humides qu’elle devrait détruire durant le chantier, par l’achat et la préservation de 120 ha de zones humides (le double) dans le département ; ce qu’elle n’arrive pas à réunir puisqu’elles sont de plus en plus rares.
Ceci n’inquiète pas André Vallini, le monsieur justice du PS, qui n’a que faire du dossier sur l’eau et accepte l’idée de s’affranchir illégalement de ses contraintes. À la tribune du rassemblement des pro-Center Parcs, il a clairement soutenu : « si les choses s’étaient passées normalement, [sans les recours] ce soir nous inaugurerions Center Parcs ».
Nous savons par ailleurs qu’à Notre-Dame-des-Landes, les promoteurs du projet d’aéroport sont prêts à démarrer leur chantier sans que les zones humides soient compensées ; la promesse de les reconstituer (sans trop savoir ce que cela veut dire) suffirait… Le chantier pourrait donc démarrer bientôt si les décideurs jugeaient que le conflit sur le terrain est à leur avantage. Il reste à l’opposition à prouver le contraire !
Et nous, QoCP, sommes déterminés à ce que ce bois reste une forêt libre.

Quelques opposants à Center Parcs
QOCP, lotissement no 1, La Roseraie, 26350 Le Grand-Serre
qocp@orange.fr

(1) chambarans.unblog.fr : archivages, nombreux articles de fond, des liens vers d’autres luttes anti-GPII
(2) Chambard dans les Chambarans, s’opposer à Center Parcs et à la marchandisation du monde, Henri Mora, éditions Le Monde à l’envers, 2011
(3) Pour les Chambarans sans Center Parcs, chez René Meynier, 1910 route de Verne, 38940 Roybon. Sur pcscp.org : suivi des recours, vie de l’association, réactions d’élus, infos environnementalistes.

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