Article Nucléaire Sortir du nucléaire

Sortir du nucléaire vite ?

Michel Bernard

Surprise : alors que les scénarios de Sortir du nucléaire envisagent souvent des sorties très lentes, le Japon a vécu à partir du 5 mai 2012 sans aucune production électrique d’origine nucléaire. L’arrêt des 54 réacteurs s’est fait en seulement 14 mois.

La sortie du nucléaire est évidemment possible, mais dans quel délai ? Ce point divise les organisations antinucléaires… Voici quelques éléments de réflexion.
Au Japon, la fermeture des 54 réacteurs, fournissant 28 % de l’électricité, en 14 mois, a pu se faire avec une augmentation de la production électrique par des centrales à combustibles fossiles (gaz principalement) (+ 13 %) et des campagnes d’incitation aux économies ont permis de faire baisser notablement la consommation d’énergie de 3 % sur l’année 2011. Dans la région de Tokyo, pour pallier le manque important de capacité de production électrique, TEPCO a réussi à construire en moins d’un an, dix centrales au gaz totalisant 3000 MW, soit l’équivalent de 3 réacteurs nucléaires. Les énergies renouvelables — extrêmement marginales hors hydraulique — ont commencé à se développer, passant en 2011 de 8975 à 21 658 GWh de production (+140 %) (1). Ces énergies renouvelables devraient continuer à se développer rapidement, mais ne représentaient fin 2011, hydraulique compris, que 9,6 % de la production électrique. Le nucléaire en 2011 a quand même fourni environ 15 % de l’électricité… qui devront être compensés en 2012. En poursuivant les tendances, les renouvelables devraient atteindre 11 à 13 % fin 2012 et donc le gaz devrait encore fortement progresser pour maintenir les centrales nucléaires à l’arrêt, ce qui est techniquement facile, mais politiquement pas gagné.
En Allemagne, la fermeture de 8 réacteurs sur 17 en 2011, n’a pas provoqué de hausse des émissions de CO2 car parallèlement, la moitié de la production nucléaire d’antan a pu être couverte par de nouvelles installations d’origine renouvelable et que l’augmentation du recours aux énergies fossiles a été réalisé par la mise en route de centrales à cogénération gaz (2) qui remplacent progressivement les vieilles centrales à lignite et charbon, permettant de diminuer la pollution. Des élections législatives auront lieu en septembre 2013. En cas de victoire d’une coalition SPD+Verts, rien n’empêcherait techniquement de fermer immédiatement les 9 réacteurs restants.
En Alaska, en mars 2008, à la suite d’une avalanche ayant provoqué une perte d’alimentation électrique, les appels de la ville de Juneau aux économies d’électricité ont permis de faire baisser quasi-instantanément la consommation de 40 %. Par contre, le rétablissement de l’alimentation électrique deux mois après s’est traduit ensuite par un relâchement progressif de la consommation qui est revenue à son niveau antérieur moins d’un an après.
Enfin, début mai 2012, 16 réacteurs nucléaires étaient à l’arrêt en France (sur 58), pour réparation ou entretien, sans que cela ait aucun impact sur notre consommation : nous n’avons besoin de tous nos réacteurs que pendant une période très courte de l’année : en plein hiver quand les jours sont les plus courts (éclairage + chauffage).

Des choix avant tout politiques

Concrètement, si nous voulions sortir du nucléaire rapidement en France, nous devrions combiner deux actions à court terme :
• Lancer un programme ambitieux d’économies d’énergie (3), ce qui potentiellement peut permettre de fermer du jour au lendemain environ un tiers des réacteurs.
• Débloquer les procédures administratives qui entravent actuellement les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque) pour que dans les deux ans à venir les capacités de production progressent à la même vitesse qu’en Allemagne. Cela permettrait de continuer à fermer deux à quatre réacteurs par an.
La décision d’arrêt conduirait à stopper progressivement la filière qui consomme elle-même l’équivalent de la production de plusieurs réacteurs (4).
On pourrait alors, en France, sans beaucoup de volonté politique, sortir du nucléaire entre 10 et 12 ans.
Il pourrait se rajouter d’autres actions pour accélérer les choses :
• Accepter un déficit commercial en achetant de l’électricité pendant quelques années au niveau du réseau européen (5),
• Utiliser plus intensément les centrales thermiques actuellement en réserve pour les pointes de consommation (6).
• Développer la cogénération gaz électricité-chaleur comme en Allemagne, ce qui assure un très bon rendement et une énergie peu chère. Ces deux dernières mesures entraîneraient provisoirement une augmentation des émissions de gaz à effet de serre par le secteur énergétique, ce qui peut être compensé plus ou moins par de nouvelles règles pour les transports : par exemple en réduisant la vitesse sur autoroute à 110 km/h, en taxant plus fortement le transport par route… (7)
• Mettre en application les recommandations du plan Negawatt (8) concernant le volet de l’efficacité énergétique en obligeant les fabricants d’appareils électriques à aligner leur production sur les appareils les moins consommateurs commercialisés actuellement.
On pourrait alors sortir du nucléaire entre 2 et 5 ans.
Ce n’est évidemment pas le choix de nos politiques actuellement qui n’osent pas affronter un lobby industriel présent dans toutes nos institutions.
Pour guider nos choix politiques, la question à poser est la suivante : quel est l’élu qui assumera la responsabilité de la gestion d’un accident majeur en France ?
Peut-on avoir le courage d’agir efficacement avant l’accident, plutôt qu’après ?

Michel Bernard

(1) Lire « Comment le Japon se passe du nucléaire » de Eric Vidalenc, Alternatives économiques, mai 2012.
(2) Production d’électricité avec récupération de la chaleur pour le chauffage des logements. Dans une centrale nucléaire, la récupération de la chaleur n’est pas faite car, pour des raisons de sûreté, elles sont construites loin des habitations.
(3) Au Japon, les entreprises ont eu l’obligation de baisser leur consommation de 15 % en un an. Si dans l’industrie, les résultats ont été mitigés, ils ont parfois été spectaculaires dans le tertiaire : communiquant sur le sujet, certaines entreprises annoncent jusqu’à 60 % d’économie !
(4) Pour extraire l’uranium du minerai, pour l’enrichir, pour fabriquer les barres de combustibles et pour le reconditionnement des déchets à l’usine de La Hague. L’ancienne usine d’enrichissement Eurodif qui vient d’être remplacée par une méthode plus économe, consommait à elle-seule la production de 3 réacteurs.
(5) Contrairement au Japon, isolé en pleine mer, des importations importantes d"origine européenne sont possibles car le réseau électrique le permet. Rappelons qu’en Europe, seulement 9 % de l’énergie est d’origine nucléaire.
(6) EDF dispose d’une puissance de 12 200 MW sur une quinzaine de sites, soit l’équivalent d’une douzaine de réacteurs nucléaires. Or ces réacteurs ne servent qu’en période de pointe. Voir http://energie.edf.com/thermique/carte-des-centrales-thermiques-47821.html. GDF-Suez en construit actuellement pour 2000 MW. Globalement, le thermique-gaz existant peut remplacer environ un tiers du parc nucléaire.
(7) Le Grenelle de l’environnement regorge de bonnes solutions qui n’ont pas été exploitées.
(8) voir www.negawatt.org.


Allemagne
Les difficultés du tout renouvelable

Pour stopper le nucléaire d’ici 2022, objectif annoncé, l’Allemagne a lancé un vaste plan de construction de photopiles, d’éoliennes et de centrales au gaz ; ces dernières devant servir à compléter le manque d’électricité des deux premières sources intermittentes et remplacer les actuelles centrales à charbon et lignite très polluantes.
Le changement de ministre de l’environnement, en mai 2012, a été l’occasion de préciser les difficultés rencontrées.
Concernant le solaire photovoltaïque, les régions freinent actuellement les installations car le prix garanti de rachat de l’électricité coûte cher aux contribuables. Les régions veulent baisser ce prix… mais cela entraînerait alors l’effondrement de la production de panneaux allemands au profit des panneaux chinois.
Concernant l’éolien, la construction des grands parcs de production en mer Baltique ont pris du retard du fait des difficultés rencontrées et du manque de connexion avec le réseau général. Il y a besoin de 1800 km de nouvelles lignes à haute tension et pour le moment, seuls 200 km ont été construits. Il y a conflit avec les populations locales qui refusent le passage des nouvelles lignes.
Concernant les centrales au gaz, peu se construisent car la loi prévoit que la production des renouvelables est prioritaire, ce qui signifie que ces centrales au gaz ne fonctionneront que de manière de plus en plus espacée et l’investissement n’est pas estimé rentable par les compagnies d’électricité.

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