Ils s’autoproclament communauté de paix le 23 mars 1997. Processus qui s’oppose à une logique de guerre, pour être au plus près de leurs idéaux. Construire l’espoir. Inlassablement.
Tout au long de cette histoire sanglante, 17 autres veredas [1] vont les rejoindre. 2500 personnes en résistance. Le massacre le plus emblématique est celui du 21 février 2005 perpétré par des paramilitaires, sous le couvert de l’armée colombienne. 8 personnes sont assassinées dont Luis Eduardo Guerra, leader de la véréda de Mulatos et un bébé de 18 mois. A ce jour, près de 200 personnes ont été assassinées ou sont portées disparues. Les autres sont toujours debout. En résistance.
Une utopie en marche. Visible dès l’entrée de la communauté. Une simple pancarte, quelques mots peints. Ici, personne ne porte d’arme, personne ne participe à la guerre de manière directe ou indirecte, personne ne fournit d’information aux acteurs armés, chacun dit non à l’injustice et à l’impunité, chacun participe aux travaux collectifs. Pour cette communauté, la non-violence est réelle, palpable. Dans le sourire des enfants, dans le regard déterminé des hommes, à travers le corps des femmes. Ici tout vibre en faveur de la paix.
Une solidarité internationale active
Aux yeux du monde, la Colombie se veut garante et respectueuse des droits de l’Homme. Dénoncer ce mensonge d’Etat, par le biais d’un réseau de solidarité internationale, est le seul moyen de pression efficace pour la communauté. Pour s’octroyer des temps de pause. Des temps de paix.
Tout près de l’entrée, les drapeaux des ONG [2] fl ottent au vent. Symbole de protection. Fragile. Chimérique. PBI [3] est présente sur place depuis plus de 10 ans. Cette organisation est indépendante, impartiale avec comme mission la protection des droits humains et la promotion de la non-violence. Des volontaires se relaient pour offrir un accompagnement protecteur aux membres de la communauté menacés dans leur vie et dans leurs activités par la violence politique. Une association italienne, Paloma, et une américaine, FOR [4], assurent aussi une présence et un accompagnement. Le monde entier est là. Des hommes et des femmes de partout. Sur le chemin de la dignité. Ensemble.
Des modèles alternatifs pour le vivre ensemble
Ici, l’enseignement se veut différent. Dans le passé, beaucoup de maires envoyaient des paramilitaires comme éducateurs, pour contrôler les communautés. Une éducation d’Etat qui dévalorise les paysans, qui valorise les grandes entreprises, qui pousse les gens à quitter la campagne pour travailler au service des multinationales.
Face à une telle éducation formatée, la communauté a alors formé elle-même ses professeurs comme Orlando, aujourd’hui enseignant à la communauté.
L’enseignement n’est pas seulement basé sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, mais aussi sur des valeurs fondamentales telles que le respect de la nature, la sensibilité aux plantes, la non-violence, le refus de la vengeance, le respect du travail collectif. Un autre axe privilégié est le travail sur la mémoire. Tisser des fils invisibles. Indestructibles. Où chaque mort trouve sa place, crée son sillon. Pour faire vivre demain. Pour défier l’impunité.
Cette communauté alternative puise sa force dans les assemblées populaires. Gildardo, leader de Mulatos y est revenu en 2008. Pour que le sang versé soit celui du renouveau. Ici, la terre est riche, fertile. Les campesinos [5] peuvent vivre de leur culture. Revenir c’est refuser de la céder aux multinationales. Ils osent s’opposer à l’armée, à la guérilla. Tous clament haut et fort qu’ils préfèrent mourir plutôt que d’être à nouveau déplacés. Ils exigent le respect, la dignité.
L’assemblée populaire c’est un moment fort pour chacun. Un moment de trêve. Pour souffler, débattre. Partager du bonheur, de la vie. Simplement. Leaders, représentants de la communauté ou simples campesinos, sont tous là. Heureux. Enthousiastes. Hommes, femmes. Chacun prend la parole, chacun est écouté. Un vrai moment de démocratie directe. Tellement plus réelle que celle prônée en Europe.
Des hommes et des femmes en lutte
Brigida, 60 ans, se raconte en peinture. Sa fille, Elisa, 15 ans, a été assassinée en décembre 2006. Ses frères aussi. Un visage tout en sourire. Des yeux malicieux. Vivants. Sa voix n’est qu’un murmure. Un souffle. Comme une cassure. Pour elle, la communauté c’est la vie. Dans toute sa splendeur. Dans toute sa douleur.
Elle ne croit pas que la paix se signe avec un bout de papier. Un papier est fragile. Il peut se déchirer. Pour elle, la paix se construit depuis le coeur, personne ne peut le détruire. Elle refuse de vivre dans la terreur. Elle n’a pas peur de mourir. Sans fanfaronnade. Elle veut croire que si demain elle est assassinée, c’est un jeune qui prendra sa place. Tel une hydre de Lerne. Pour qui une tête coupée en fait renaître mille.
Cette lutte prend toute sa vérité lors des travaux collectifs. Une résistance par l’action. Le jeudi, tout le monde se retrouve. Dès 8h du matin. Le soleil se lève à peine. Une annonce au micro et les travaux commencent. Pour construire le mémorial. Aujourd’hui, il y a juste une barrière circulaire peinte en noir. Des hommes et des femmes qui creusent, qui s’activent sous un soleil accablant. Les plus jeunes portent des petits sacs de gravats. Les vieux commentent et participent par leur présence. Les plus petits avec l’institutrice ramassent les déchets dans tout le village. L’effort est total, collectif. Les corps luisent. Les rires fusent. Demain, ici, se dressera une chapelle et des fontaines. Pour la mémoire. Se souvenir. Ne jamais oublier. Dresser les pierres de la résistance. Comme un poing qui se lève.
Tous s’opposent à l’armée, à la guérilla. Leur seule arme, la parole. Leur unique courage, être ensemble, être multiple. Vivre une fraternité à toute épreuve. Croire dans ce rêve si petit et grandiose à la fois.
Une personnalité forte, le père Gilardo, un non-violent en action
Homme d’Eglise et défenseur du processus dès l’origine. Intimement lié à tous ces gens. Par une confiance indéfectible. Avocat de fait. Avocat de coeur.
Il veut croire dans le combat juridique. Il espère dans la cour pénale internationale. Pour réclamer justice. Par des armes légales. Pour tarir le sang. A tout jamais.
Une rencontre avec le père Gilardo, c’est l’humanité dans toute sa grâce. Pas seulement parce que c’est un homme d’Eglise. Aussi parce que c’est un homme de convictions. Pour lui, chaque homme a le droit à une vie décente. Comme un combat vital. Impétueux. Un homme tout en courage. Qui refuse de se soumettre, de céder aux intimidations de l’armée, des paramilitaires. Il n’a pas peur. Il refuse les escortes proposées par le gouvernement. Il sait son combat juste. La confiance de la communauté dans son escarcelle.
Dans la jungle. Au bout du monde. La communauté veut créer un modèle alternatif de société. Par petites touches. Marche après marche. Ils produisent une alimentation autosuffisante. Au niveau économique, ils envisagent l’exportation de cacao directement de la communauté vers l’Allemagne pour mettre en place un réseau de commerce équitable. Ils travaillent aussi à une alternative à la médecine chimique. La communauté se rêve comme un laboratoire d’idées. En perpétuelle recherche. L’innovation comme moteur de la pensée collective. Etre une épine dans le pied du gouvernement. Juste un petit grain de sable. Pour détraquer le système. Revenir à l’humain. A l’essence du monde.