Adolescent, Ziad Medoukh se retrouve un jour avec plusieurs autres enfants avec une pierre dans la main face à des chars israéliens d’occupation.
Etrangement, il pose la pierre par terre et préfère ne pas la lancer. Tout au long des années qui suivent, il s’interrogera sur la signification de ce geste. Un parcours qui aboutit à la création en 2006 du Centre de paix au sein de l’université Al Aqsa de Gaza, dans laquelle il est chef du département de français. Ce centre organise des formations aux principes de citoyenneté, de droits de l’homme et des femmes, de démocratie, de paix, de vivre ensemble et de non-violence. Il mène des recherches sur les pratiques démocratiques au sein de la société civile en Palestine.
Où en est la résistance non-violente en Palestine ?
D’abord il faut rappeler que tout peuple occupé a le droit de se défendre. Il s’agit d’un droit positif inscrit dans les règles du droit international. Ceci dit, on peut distinguer en Palestine trois formes de résistance : la défense armée, celle des militaires. Elle est légitime. La deuxième, c’est l’attachement à la terre, à l’éducation, qui est également en soi une forme de résistance du peuple palestinien. Malgré des conditions extrêmement difficiles, l’éducation est maintenue et organisée à large échelle. Et pour les habitants, ne pas partir, c’est déjà une manière très forte de résister. Le blocus contre Gaza n’a pas fait fuir les gens, contrairement à l’effet attendu par l’armée israélienne.
Enfin la non-violence proprement dite : actions non-violentes, boycotts, grèves, articles… Le fait d’être non violents est déjà une victoire. Il y a une pratique massive de la non-violence au quotidien en Palestine, dans les familles, les écoles. Mais les médias ne parlent que de la violence et des crimes.
La non-violence se heurte à trois difficultés en Palestine : l’occupation ainsi que la situation économique désastreuse qui poussent à la radicalisation ; le fait de ne pas être connus à l’extérieur, qui affaiblit ces actions ; enfin le fait que la non-violence est une pratique et une démarche qui demande beaucoup de patience, de courage, de détermination. C’est risqué. Nous sommes parfois accusés d’être des traîtres.
Y a-t-il des débats sur les formes et les stratégies de résistance en Palestine ?
Nous devons faire face à trois sortes de violence : d’abord et avant tout la violence de l’occupation : bombardements, attaques, blocus, mur…Nous faisons face également à la résistance armée palestinienne, des tirs de roquettes, des attentats, que les Palestiniens subissent aussi comme une violence. Enfin il faut parler de la violence inter-palestinienne, celle des rivalités et des affrontements entre factions et partis palestiniens.
Pourtant il existe des alternatives. En Palestine, on peut dire que la non-violence est une force populaire, alors que la violence est le fait de factions. La non-violence est très forte mais souffre de ne pas avoir de base historique, philosophique, théorique. Pourtant nous préparons le terrain pour l’avenir, pour la paix.
Dans votre vision de la résistance, qui considérez-vous comme l’adversaire ?
Notre adversaire n’est pas le peuple israélien, encore moins le peuple juif, envers lesquels nous ne nourrissons pas de haine. Nos adversaires sont l’armée et le gouvernement israéliens. C’est le gouvernement qui mène une politique coloniale, avec le mur, le blocus, les check-points, les bombardements, etc.
Un million et demie de personnes vivent enfermées à Gaza. Depuis le siège imposé depuis 2007 par Israël, seuls trente à quarante produits sont importables aujourd’hui. « Livres, disques, vêtements, tissus, chaussures, aiguilles, ampoules électriques, bougies, allumettes, instruments de musique, draps, couvertures, matelas, tasses, verres… sont interdits et ne peuvent transiter que par les fragiles tunnels vers l’Egypte, cibles de bombardements répétés ». Alors que les bombes ont tant détruit, le ciment, les portes, vitres, fenêtres, ne sont pas autorisés, pas plus que le thé, le café, la semoule. (source : « Ouvrez les portes de Gaza », tribune dans Libération, 15 juin 09)
Développez-vous des liens avec des mouvements israéliens et internationaux ?
Ce que vous devez comprendre c’est qu’à Gaza nous sommes enfermés. Nous ne pouvons pas sortir. Nous sommes isolés depuis trois ans. Même avec les habitants de Cisjordanie nous ne pouvons pas nous voir. Dans ces conditions comment voulez-vous que nous rencontrions des Israéliens ? C’est malheureusement impossible. La loi interdit aux Israéliens d’aller à Gaza. Les seules possibilités de nous rencontrer c’est à l’extérieur de nos deux pays, quand nous pouvons nous en échapper. Les liens que je développe sont surtout avec les réseaux non violents internationaux. C’est un miracle que je sois autorisé à aller à l’extérieur.
Quelle issue politique voyez-vous et quel espoir nourrissez-vous ?
La situation a beau être délicate, je n’en reste pas moins optimiste. Tout d’abord parce que la non-violence est pratiquée par de nombreux Palestiniens, qui continuent à habiter leur terre. Ensuite parce que l’éducation continue, en dépit des difficultés. Enfin parce que nous n’avons rien à perdre. C’est pourquoi nous n’avons pas d’autre choix que de continuer.
Que pensez-vous de l’évolution des négociations de paix avec l’arrivée d’Obama ?
Avec Obama il est sûr qu’il y aura moins de tensions par rapport à Bush. Il fait pour l’instant de beaux discours, mais que se passera-t-il concrètement ? Pour l’instant le blocus sur Gaza n’a pas été levé, l’apartheid est toujours là. Pour imposer une paix juste et durable, il n’y a pas d’autre solution que de faire pression sur les Israéliens pour imposer un processus de paix. C’est la responsabilité de la communauté internationale. La seule solution sera politique et non militaire. Il faut aboutir à la création d’un Etat palestinien pouvant vivre en paix et en sécurité à côté d’Israël.
Propos recueillis par Guillaume Gamblin