Emmanuelle et Michel Philippo, les porteurs de ce projet de « formation » participative, étaient enseignants en Belgique avant d’arriver à Eourres. Ce sont d’abord des thèmes politiques abordés en classe et les questions existentielles de leurs élèves qui les avaient amenés à approfondir une réflexion sur la société de consommation et à essayer de vivre « autrement ». Mais "c’est notre combat contre le projet d’une cimenterie voisine d’incinération des déchets toxiques qui nous a poussés à vivre encore plus en accord avec nos idées, dans un endroit qui nous le permettait" dit Michel.
D’une initiative individuelle à une aventure collective
Le petit village d’Eourres les a inspirés : très isolé, il oblige bon nombre de ses habitants à développer leurs activités sur place, les amenant naturellement à l’échange et à la débrouille. Depuis sa renaissance il y a une trentaine d’années, cette commune montagnarde est également un creuset d’initiatives écologiques et alternatives. C’est donc dans ce village qu’Emmanuelle et Michel ont imaginé la formation, avec le besoin de garder un contact avec des jeunes amenés à se poser des questions sur les impasses de notre monde, et la perspective de réfléchir avec eux à des solutions concrètes à mettre en place pour pouvoir s’émanciper d’un système aliénant.
Une première session encourageante
Pendant trois mois, de décembre 2008 à mars 2009, sept jeunes âgés de 20 à 26 ans, venus des quatre coins de la France, ont ainsi participé à la première session de la formation. Alliant ateliers pratiques et théoriques, elle vise à développer une autonomie matérielle (dans les domaines de l’alimentaire, du logement, de l’habillement ou encore du déplacement) et intellectuelle, par le biais de lectures, de débats, de projections de documentaires, etc.
Cette formation, dont il faut préciser qu’elle ne débouche sur aucun diplôme et qu’elle n’est pas reconnue officiellement, se déroule dans un certain cadre (emploi du temps, bilans réguliers), qui n’est cependant pas gravé dans le marbre. "J’ai un peu tendance à me laisser vivre, dit Gildas, l’un des jeunes, et si j’ai choisi cette formation plutôt que d’aller dans une communauté où chacun organise sa journée comme bon lui semble, c’est parce que j’ai besoin d’un peu de cadre. Je pense que le mot ‘formation’ est important et ne contredit pas l’idée d’autonomie".
Et d’ailleurs, comme dit Lucie, "il n’y a pas les « formateurs » d’un côté et les « formés » de l’autre ! Avec mon asso, nous avons par exemple enseigné aux autres à construire une yourte, ce qui n’était pas du tout prévu au programme".
En trois mois d’un hiver pourtant rude, ces jeunes ont ainsi construit l’ossature d’une yourte, trois cuiseurs solaires, appris à se servir d’une tronçonneuse et coupé du bois en forêt, fait des enduits en terre et en chaux, acquis l’art de faire des nœuds, transformé une machine à laver en machine à laver à pédales, fait des confitures, du jus de pomme, du pain, du tricot, etc.
La construction écologique a particulièrement intéressé Roxane : "Avec mon compagnon, nous avons le projet de construire notre maison après la formation, et je constate ici qu’il est possible de se loger sans s’endetter à vie, contrairement à ce que tout le monde croit !"
"Nous avons commencé à construire notre maison nous-mêmes il y a un an et demi, avec des techniques simples que tout un chacun peut se réapproprier, comme la paille, la terre, la chaux. Pour nous, c’est important de nous libérer de l’industrie du bâtiment", ajoute Emmanuelle.
"J’ai appris ici beaucoup de savoir-faire pratiques, mais l’aspect intellectuel de la formation m’a aussi bien intéressé. Nous avons fait plusieurs lectures collectives, comme Le Cauchemar de Don Quichotte, eu des discussions approfondies sur des sujets philosophiques ou des questions plus personnelles", déclare Adrien.
Parallèlement à ces ateliers, chaque jeune a pu mener un projet personnel. "J’ai travaillé avec les chevriers du village, raconte Claire, et ils ont d’ailleurs fini par m’embaucher". De leur côté, Gildas, Lucie et Benoît ont réalisé une émission de radio avec Radio Zinzine, au sein de la Communauté Longo Maï (1).
Des liens se sont d’ailleurs tissés entre cette communauté et les jeunes, intéressés pour la plupart par la vie collective. "J’ai toujours été attiré par ça ; pas toujours facile de gérer les conflits du quotidien, mais nous étions bien organisés et cette expérience a confirmé mon envie de vivre plus tard dans un lieu collectif", témoigne Benoît, qui a travaillé avec le berger d’Eourres.
Plusieurs villageois se sont en effet impliqués dans le projet. Mircea, vannier, a consacré plusieurs journées à enseigner la confection de paniers mais aussi d’éléments de construction en osier. "C’est toujours une joie de transmettre un savoir-faire à des jeunes motivés, et de faire découvrir ce métier méconnu et de grande valeur" dit-il.
Roxane et Benoît, quant à eux, ont travaillé avec Werner et ses brebis. "Je voulais soutenir le projet de Sens et Autonomie, dit Werner, et le contact avec Benoît et Roxane a été particulièrement riche, nos façons de travailler se sont bien accordées. C’est avant tout une histoire de relations humaines : ça ne m’intéresserait pas de travailler avec le meilleur berger du monde si je ne m’entendais pas avec lui !"
Un café associatif où s’improvisent bœufs musicaux et soirées festives, ainsi qu’un potager collectif auquel tout le village peut participer renforcent les liens entre l’association et Eourres.
Sur la première page de La Bique déchaînée, le journal que les jeunes ont créé, une chèvre déploie une banderole indiquant « Moins de chaînes, plus de liens ». Et si c’était là le sens de cette aventure collective ?
Sara Martinez
Portes ouvertes de la formation du 29 juin au 3 juillet 2009 inclus : ateliers pratiques, lectures collectives, soirées festives. http://sensetautonomie.fr.
Contact : Emmanuelle et Michel Philippo, 04 92 49 65 93 ou sensetaunomie@free.fr, http://sensetautonomie.fr.
(1) voir reportage dessiné dans Silence n°365.