L’une des difficultés de la domination que nous exerçons sur un certain nombre de zones du globe est qu’elle est relativement invisible à nos yeux. Aux yeux même de celles et ceux qui la subissent au quotidien, elle peut parfois apparaître comme une fatalité naturelle. Il faut toute l’analyse des rapports géopolitiques complexes qui caractérisent notre économie mondialisée pour y voir clair dans cette superposition de richesse et de misère. Ce dossier a le mérite d’aider à visualiser un certain nombre de lignes de cette nouvelle domination « soft » (agrocarburants, commerce équitable, immigration choisie…).
Pouvoir d’achat, impérialisme : même combat ?
Il s’agira donc dans un premier temps de se libérer des schémas de pensée fermés qui dominent actuellement dans nos sociétés d’opulence et incapables de voir au-delà du seul intérêt particulier. La limitation des revendications sociales et politiques à la seule « augmentation du pouvoir d’achat » est en profond décalage avec les réalités de notre monde interdépendant. La vraie lutte pour la justice ne peut pas faire l’économie de l’analyse des conséquences là-bas de ce qui se produit ici. Le pouvoir d’achat a un poids : celui de l’impérialisme. Il pèse économiquement, militairement, politiquement et culturellement sur certains pays jusqu’à les asphyxier et les détruire. Lutter pour le pouvoir d’achat aujourd’hui, c’est lutter pour l’impérialisme qui lui est lié. Un travail de décloisonnement mental et politique est nécessaire tant dans les syndicats que dans nombre d’appareils politiques pris dans les filets de la démagogie. A quand une jonction entre les syndicats ouvriers et les revendications portées par des organisations comme Survie contre la Françafrique, ainsi que les mouvements décroissants et les associations du Sud, pour un partage des richesses mondiales ?
La nécessité d’une décroissance au Nord
Car c’est bien une décroissance qui s’impose. C’est à dire l’allègement du poids des pays qui dominent actuellement le monde sur le reste de la planète. La décolonisation des pays sous hégémonie globale est l’une des deux dimensions de la décroissance, avec celle, également essentielle, de l’allègement du poids écologique sur la planète. Cette décroissance – ou cette sobriété – passe par la diminution de notre demande globale de carburants (pétrole, agrocarburants), d’énergie (charbon, uranium), par une transformation de nos modes d’alimentation (locale, plus légère en protéines animales), par une sobriété globale de la consommation d’objets jetables, obsolescents ou inutiles, par une socialisation des usages (habitat collectif, équipements et outils collectifs…), etc.
Pratiquer la non-violence à trois niveaux
Face à cette violence du néocolonialisme, en quoi consistera la non-violence de celles et ceux qui veulent s’en défaire ? D’abord dans le principe premier de la non-violence gandhienne, l’ahimsa (du privatif a- et - himsa : nuisance) : ne pas nuire. Commençons donc par cesser de nuire aux pays sous domination, en cessant d’alimenter celle-ci par notre consommation et notre mode de vie au Nord, avant de monter des missions pour venir « aider » à colmater les brèches que nous ouvrons. Cessons d’alimenter la violence. La deuxième signification de la non-violence dans notre contexte d’impérialisme, est de lutter et d’établir des rapports de force non violents face aux acteurs identifiés de cet impérialisme (lobbys et multinationales de l’agroalimentaire, des carburants, système politique de la Françafrique, etc.) afin de faire tomber leur hégémonie par la non-coopération. La troisième dimension de cette non-violence est l’établissement d’un programme constructif qui permette non seulement de faire tomber le système qui détruit, mais aussi d’imaginer l’organisation à mettre en place pour lui succéder et permettre de répondre aux besoins qu’il remplissait peu ou prou.
A quand un réseau Sortir du colonialisme ?
Au même titre qu’existe en France un réseau Sortir du nucléaire qui regroupe plus de 800 associations pour lutter contre la folie nucléaire et lui trouver des alternatives viables, on pourrait imaginer la création d’un vaste regroupement d’associations qui aurait pour fonction d’unir leurs efforts réciproques afin de sortir des relations de domination qui caractérisent nos rapports avec de nombreux pays du monde. Il regrouperait les réflexions et les actions de mouvements travaillant autant sur la consommation, que sur le système monétaire, la critique du développement, de la croissance et de l’industrialisme, la politique militaire et françafricaine… A quand un réseau Sortir du colonialisme ?
Guillaume Gamblin