Les guerres provoquent de graves dégâts environnementaux qui de plus perdurent bien après que les armes se soient tues. C’est un fait largement admis. D’ailleurs, depuis 2001, l’ONU a décrété le 6 novembre Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé (voir en encadré la déclaration du secrétaire général de l’ONU lors de l’édition 2007).
Toutefois, l’empreinte écologique militaire ne se limite pas aux seules périodes de conflits et ne concerne pas que les pays en guerre… L’armée au travers de son fonctionnement quotidien est une grande consommatrice de territoires, d’énergie et autres ressources naturelles de toutes natures… Reste à trouver les données pertinentes pour mesurer cette empreinte…
Lors du “Grenelle de l’environnement”, l’armée était l’un des grands absents et différentes recherches, notamment via Internet, n’ont pas permis d’obtenir des éléments d’information permettant d’étayer de manière un tant soit peu sérieuse la prédation que les activités militaires imposent à notre biosphère.
En revanche, le ministère de la défense a lancé une opération de communication en présentant à la presse le 27 novembre 2007 un “plan d’action environnement” qualifié, bien sûr, d’ambitieux. Sauf que les moyens mis en œuvre concrètement frisent le ridicule !
Journée internationale pour la préservation de l’environnement en temps de guerre
À l’occasion de la Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit, le 6 novembre 2007, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a souhaité faire connaître son message :
“Depuis que la guerre existe, l’environnement et les ressources naturelles en sont les victimes silencieuses. Les récoltes sont incendiées, les puits pollués, les sols empoisonnés et les animaux tués. Les objectifs ne sont pas toujours les mêmes : on peut vouloir se procurer un avantage stratégique, démoraliser des populations locales, venir à bout d’une résistance ou tout simplement nourrir ses soldats. Mais, même lorsqu’elles ne sont pas intentionnelles, les conséquences sont toujours catastrophiques. Nous assistons à des actes de destruction purs et simples, notamment le rejet de polluants et de substances dangereuses. Nous sommes témoins de bouleversements sociaux, comme la création de populations de réfugiés qui, à leur tour, mettent plus rudement les ressources à contribution. (...)
Pendant la guerre du Golfe de 1991, les puits de pétrole du Koweït ont été délibérément incendiés et des millions de litres de pétrole brut ont été déversés dans les voies d’eau. Au Cambodge, 35 % de la couverture forestière a été détruite pendant les 20 ans qu’ont duré la guerre civile et les troubles. Au cours du conflit en Angola, le nombre des animaux sauvages a diminué de 90 % et, pendant la guerre du Vietnam, des millions de tonnes d’agent orange ont été pulvérisées au-dessus des jungles de ce pays, ce qui a eu pour effet de dépouiller de toute végétation de vastes zones dont certaines ne peuvent toujours pas être cultivées aujourd’hui.
L’environnement est protégé en temps de guerre par un certain nombre d’instruments juridiques, notamment la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (1976), la Convention sur les armes chimiques et la Convention sur la prohibition des mines antipersonnel (1997). En outre, le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève interdit l’utilisation de ’méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel’ et dispose que ‘la guerre sera conduite en veillant à protéger l’environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves’. Mais ce qui fait cruellement défaut, ce sont les mécanismes voulus pour assurer l’application de ces conventions. De fait, il faudra peut-être que nous renforcions le chapitre ‘vert’ des règles du droit humanitaire international.
Au niveau pratique, l’ONU réagit de plus en plus activement lorsqu’une guerre entraîne une dégradation de l’environnement : elle s’efforce d’évaluer les dégâts, de nettoyer les zones contaminées et d’aider les pays à se doter des moyens voulus pour gérer leur environnement après le conflit. C’est ce que le Programme des Nations Unies pour l’environnement a fait dans les Balkans et c’est ce qu’il fait aujourd’hui en Afghanistan, en Irak, au Libéria et dans le territoire palestinien occupé.
Les technologies guerrières et armements modernes continuent à se développer rapidement, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’environnement. En même temps, on laisse trop de conflits s’envenimer pendant des années, voire des décennies, et épuiser petit à petit les ressources naturelles. Au moment où nous célébrons la Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé, prenons conscience du fait qu’aucune guerre et aucun conflit ne se déroule trop loin de nous pour avoir un effet sur notre environnement, quel que soit l’endroit où nous habitons. Et prenons l’engagement de faire ce que nous pourrons pour lutter contre cette menace commune et pourtant souvent oubliée qui met en péril nos vies et notre bien-être”.
Développement durable ?
Prenons l’exemple de la consommation des produits pétroliers. Le Service des essences des armées distribue chaque année environ 1 200 000 m3 de produits pétroliers. Or, les mesures proposées concernent essentiellement la formation des 15 000 conducteurs du ministère à ce qu’il nomme “la conduite souple” ou “l’éco-conduite” visant à réduire les consommations de carburant et à acheter des voitures plus économes… Sans être expert, on peut estimer que même si le ministère est gestionnaire du second parc national, derrière La Poste, avec près de 70 000 véhicules, une réduction sérieuse de sa consommation de produits pétroliers et d’émission de CO2 se joue prioritairement au niveau des avions de combats (Rafale et autre Mirage…) et de l’armement naval…
En fait, la principale mesure de ce “plan environnement” sera la réalisation chaque année d’un bilan environnemental du ministère. La première édition est prévue pour la fin de l’année 2008 et comportera un “bilan de ses rejets gazeux et liquides dans l’environnement, de ses productions de déchets, de ses consommations d’énergies
et d’eau ainsi qu’un bilan carbone”. Déchets nucléaires y compris ? Le document du ministère se garde bien de le préciser…
Les renseignements ne sont pas toujours faciles à trouver, mais voici deux exemples.
Un avion de combat Rafale (Dassault) a un rayon d’action de 1850 km en mission air-air avec 8 missiles Mica et 6600 litres de carburant répartis dans 5 réservoirs extérieurs
Temps de patrouille air-air : 3 heures. Soit : 2 200 litres de carburant par heure de vol !
(Sources : http://www.avions-militaires.net/)
Un char Leclerc Nexter (ex-Giat) a une capacité en carburant de 1300 litres sous blindage (1700 avec carburant externe : fûts largables). Son autonomie maximale sur route : 550 km avec carburant externe. Soit 3,09 litres par kilomètre ou pour comparer à une voiture moyenne, 309 litres au 100 km !
(Sources : http://www.nexter-group.fr/)
Pourtant, calculer l’empreinte écologique de l’armée nécessite de prendre en compte de tels paramètres comme l’impact des 210 essais nucléaires réalisés par la France au Sahara et en Polynésie, l’impact des différents essais d’armes et plus globalement d’inclure aussi le bilan des entreprises travaillant pour la production d’armement… En effet, le ministère de la défense est le premier investisseur de l’État, le premier gestionnaire immobilier et foncier de l’État (264 000 hectares) et le deuxième employeur de l’État (430 000 personnes, auxquelles il faut rajouter environ 166 000 travailleurs dans l’armement).
Les différents calculs de l’empreinte écologique de la France soulignent qu’une généralisation du niveau de vie moyen d’un Européen ou d’un Français à l’ensemble des habitants nécessiterait deux planètes supplémentaires. La prise en compte de l’impact des activités militaires et de leurs conséquences augmenterait à coup sûr les
estimations. De quoi créer un “indice de l’impact militaire” au côté notamment des différents indicateurs environnementaux et sociaux…
Patrice Bouveret
Observatoire des armements
Observatoire des armements / CDRPC
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