Nos habitudes de vie nous font emprunter des parcours souvent identiques pour nous rendre d’un endroit à un autre, de notre domicile à nos différentes activités : le travail, l’école des enfants, les magasins d’approvisionnement, le marché, la gare. Des enseignes d’artisans et de commerçants jalonnent ces parcours, mais nous n’y prêtons guère attention. A la campagne, les lieux d’activités ou de production se font plus rares, mais sont souvent de dimensions plus importantes : il s’agit d’une ferme d’élevage, d’une scierie ou d’une minoterie, par exemple. Pour satisfaire nos besoins courants, nous avons recours à toutes sortes d’achats de produits, de denrées périssables, mais aussi à des services d’entretien du matériel et de réparation. Alors, pourquoi ne pas franchir le pas — de porte — des artisans qui nous entourent et leur demander de nous parler de leur métier, de leur savoir-faire, de leurs difficultés aussi afin de mieux comprendre certains aspects de leur travail : délais qui nous semblent longs lorsqu’on fait appel à eux, logique d’approvisionnement en matière première qui nous dépasse, concurrence.
Retrouvons des échanges directs avec nos artisans et nos producteurs, et apprenons à reconnaître la qualité de leur travail.
Chacun aime parler de son travail, de ce qu’il fait. Pour beaucoup d’entre nous encore, nous y consacrons, chaque jour de semaine, un tiers de notre temps (1). Le cordonnier ou le boulanger du quartier peut être surpris par la démarche, mais, pris au jeu, en tirera satisfaction. L’attention portée à son savoir-faire est valorisante et touche son histoire personnelle, ce qui le distingue alors d’un autre cordonnier ou d’un autre boulanger. Des questions posées, il peut en tirer aussi de nouvelles réponses plus appropriées à une demande qu’il ne connaissait pas. Par exemple, la qualité des produits utilisés, leur impact écologique. Ces échanges peuvent permettre de faire évoluer les relations avec nos « fournisseurs » (de produits et de services). De leur point de vue, nous ne sommes plus à leurs yeux de vulgaires consommateurs, mais des concitoyens avertis. A la campagne, des organismes de développement local, de mise en valeur du patrimoine mettent en place des journées ou des week-ends de « visites à la ferme », des « circuits des artisans du pays », des « routes de ceci ou cela ». Cependant, les sites concernés doivent le plus souvent répondre à certaines normes, notamment de sécurité et d’hygiène en matière d’accueil du public, ce qui peut devenir rapidement une lourde contrainte pour les plus « petits ». Ils sont amenés aussi à adhérer à une charte, cotiser pour figurer dans un dépliant touristique. Pourtant, le paysan d’à côté peut peut-être vous recevoir tout simplement, en tant que voisin, et vous en apprendre autant sur son métier, sur l’évolution de l’agriculture locale, sur les pratiques spécifiques au terroir, sans figurer dans ces catalogues.
Le temps est aux labels, aux contrôles en tout genre pour justifier le plus souvent une standardisation des pratiques. Oublions-les pour retrouver des échanges directs avec nos artisans et nos producteurs, et c’est au travers de leur accueil, de leur humanité que nous saurons reconnaître la qualité de leur travail. Les exemples sont nombreux aujourd’hui qui nous démontrent les limites des labels et des franchises qui ponctuent nos rues jusqu’au cœur de nos villages. Les innombrables mentions figurant sur les enseignes des boutiques et des entreprises ne nous garantissent en définitive qu’une banalisation des goûts, des façons de faire et des paysages.
Lever le nez !
Quelques pistes de visites à effectuer près de chez soi : la première chose à faire est sans doute de « lever le nez », d’observer les lieux d’activités qui nous entourent. La densité du bâti des villes propose une masse d’informations visuelles en permanence et finalement la petite menuiserie ou l’imprimerie artisanale du quartier qui nous intéresse se cache parfois au fond d’une cour et demande une certaine perspicacité pour être repérée.
Une deuxième pratique de recherche toute simple : prendre l’annuaire et consulter les pages jaunes. Les petits artisans existent encore, tels que joaillier, luthier, tourneur sur bois mais aussi chocolatier ou herboriste…
Dorothée Fessler
(1) Sur une vie, nous travaillons 35 h pendant 40 ans, 47 semaines par an, soit 65 800 h. Par rapport à notre espérance de vie qui est de 80 ans, soit 700 000 h, nous ne travaillons en fait que 10 % du temps !