Le mot « rurbanisation » est un condensé du mot « urbanisation », qui était jusqu’alors un phénomène urbain, et du mot « rural » et désigne un processus d’urbanisation des campagnes. Les gens n’en ont pas conscience — on parle encore de désertification rurale — mais il existe en France et dans le reste de l’Europe un phénomène d’exode urbain. L’épisode d’exode rural qui a duré plusieurs siècles s’est historiquement inversé en France vers les années 70. Entre 1990 et 1999, le nombre des arrivées dépasse le nombre des départs de 410 000 (1).
Le phénomène a commencé en grande banlieue et atteint progressivement des zones de plus en plus éloignées des centres urbains. Certains parlent en Angleterre d’une « cascade de contre-urbanisation » dans laquelle les emplois et les populations se déplacent des grandes agglomérations aux petites villes, des centres urbains à la périphérie jusqu’aux zones les plus isolées (2).
Plusieurs raisons de ce phénomène sont citées par Guy Herzlich :
• le coût moindre des terrains,
• la fuite des nuisances (dont les pollutions dues aux voitures !),
• l’image positive de la campagne,
• le progrès des communications.
Selon lui « Le choix a été facilité par le progrès des communications, auquel il a poussé à son tour. Transport individuel pour l’essentiel : l’aménagement de routes périphériques ou de voies rapides a accompagné la généralisation de l’automobile et a permis que la durée des déplacements domicile-travail n’augmente pas, alors que s’allongeaient les distances parcourues ».
La France détient le record mondial de résidences secondaires par habitant (4 pour 100 habitants). Et les autoroutes jouent un rôle décisif : de tous les hébergements touristiques, ce sont en priorité les résidences secondaires qu’elles favorisent (3).
La quête de la campagne avec la voiture permet aux gens de vivre à la campagne comme à la ville, la ville en moins. Il y a toujours un hypermarché à côté ou une zone d’activités pas loin. On ne sait plus quelles sont les limites entre l’espace rural et l’espace urbain (4).
« Triste paradoxe, la quête d’air pur et de beaux paysages conduisant à créer, sous forme d’ersatz sans âme, la ville qu’on est censé fuir, dans des sites magnifiques irrémédiablement détruits » (5).
Tout cela est permis et amplifié par la construction d’infrastructures : « Nous avons besoin d’infrastructures routières, ferroviaires, mais nous sommes aussi très en retard du point de vue des technologies de l’information et de la communication » (6).
« Il est nécessaire pour nous d’avoir des réseaux rapides qui lient les grandes villes aux métropoles régionales, les villes aux grandes villes, les bourgs aux villes et les villages aux bourgs » (7).
La France détient le record mondial de résidences secondaires par habitant (4 pour 100 habitants). Les autoroutes jouent en cela un rôle primordial.
Marchandisation de la campagne…
Après des années à regarder la campagne devenir de plus en plus résidentielle, la DATAR (8) a développé quatre scénarios décrivant ce qui pourrait se passer en France dans les campagnes du futur.
Le premier scénario consiste en une prolongation de la tendance actuelle, c’est la « campagne résidentielle généralisée », les urbains pourront continuer à profiter du cadre de vie campagnard tout en travaillant une partie du temps au moins dans d’autres endroits plus urbanisés. Un deuxième scénario est basé sur un « rural agro-industriel », la campagne est alors peuplée d’agro-businessmen, la profession agricole est « relookée », et on imagine bien la production intensive chimique comme on sait bien la faire. Un troisième scénario prend le titre de « campagne-nature » : on conserve, on préserve la biodiversité et les ressources naturelles en faveur de… marchés privés de la nature, c’est la campagne musée pour les urbains avec grands parkings à l’entrée des parcs naturels (payants). Le dernier scénario prend le titre de « campagnes industrieuses et concurrentielles » : ce sont les unités de production industrielle à la campagne, la campagne pleine d’emplois.
Comme on le remarque la logique mono-fonctionnelle prévaut encore une fois dans l’analyse institutionnelle. Les quatre scénarios sont quatre fonctions possibles de la campagne : logement, production agricole, offre de nature ou production industrielle. Autant dire que dans cette campagne mono-fonctionnelle, le transport à tout va est la seule option (vraisemblablement en voiture), car si la campagne est dédiée à une fonction, les autres fonctions ne sont pas disponibles, il va falloir bouger !
La DATAR semble se poser la question de quelle pourrait être la fonction de la campagne, mais rien sur l’association des fonctions et aucune remise en cause de l’hyper-mobilité. C’est la même logique qui a détruit la ville qui va détruire la campagne, ou qui est déjà en train de la détruire. La DATAR n’imagine bien sûr pas une campagne où les différentes fonctions s’associent pour créer des espaces desquels il n’est plus besoin de se déplacer sans cesse (9). Dans la logique institutionnelle, cela doit être trop compliqué d’imaginer une zone qui serve plusieurs fonctions à la fois !
… Ou choix de la biodiversité
Une campagne regroupant ces quatre fonctions de logement, nature, production agricole et artisanale et d’autres comme la convivialité, la beauté, la santé… redévelopperait la vie locale. Dans cette campagne multi-fonctionnelle-là, ses habitants n’auraient pas sans cesse besoin de voyager pour travailler ou voir de la nature, ni d’importer des denrées alimentaires et des biens produits ailleurs. Elle ne serait pas coupée du reste du monde grâce à l’offre de transports en communs (ferroviaire, bus), ou d’infrastructures de transports doux et lents (marche et vélo) tout à fait appropriés dans le cadre de séjours prolongés dans d’autres parties de campagne ou à la ville. La fonction de nature se ferait toute seule, sans accès routiers, une bio-diversité fantastique se développerait toute seule (10). Nous sommes encore loin de cette vision de rêve : il faut la vouloir pour l’atteindre !
La campagne multi-fonctionnelle ne supprimerait pas l’existence de villes, durables et multi-fonctionnelles elles-aussi, gardant une densité plus élevée. L’association des fonctions dans chaque quartier, incluant la nature avec une composante de maraîchage urbain, permettrait là aussi d’éviter de devoir voyager sans cesse vers d’autres quartiers urbains ou vers la campagne et viserait à éviter une bonne partie des importations/exportations (11).
François Schneider
(1) Guy Herzlich, Vers la France rurbaine, Le Monde Initiatives, juillet-août 2003
(2) T. Champion, D. Atkins, M. Coombes.& S. Fotheringham. (1998) Urban Exodus, CPRE, London.
(3) Alain Lontferrand, directeur de l’observatoire national du tourisme, cité par Christine Durand, Village magazine n°63, juillet-août 2003.
(4) Philippe Langevin cité par Dorian Sabo dans le Monde Initiatives, juillet-août 2003.
(5) Christine Durand, Village magazine n°63, juillet-août 2003.
(6) Bertrand Pancher, président du conseil général de la Meuse cité dans le Monde Initiatives, juillet-août 2003.
(7) François Fortassin, président du conseil général des Hautes-Pyrénées cité dans le Monde Initiatives, juillet-août 2003.
(8) Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, institution gouvernementale.
(9) Cette idée que le trafic ne peut qu’augmenter semble être une de ces croyances qui s’auto-réalisent. Si tout le monde y croit et que l’on prévoit tout pour cela, cette « prédiction » va se réaliser. Les anglophones parlent de remplacer le « forecasting » (la prévision) où l’on prévoit la situation future en se basant sur la réalité présente, par du backcasting (la « post-vision » ?) où l’on « prévoit le présent » en se basant sur une situation future désirée : on tente d’imaginer l’utopie du futur, dans notre cas une campagne multifonctionnelle sans ou avec moins de voitures, pour réaliser en retour les étapes qu’il faut réaliser pour y parvenir.
(10) Les forêts primaires existent dans les territoires sans accès routier par exemple.
(11) Voir le dossier sur les Ecocités, S!lence n°307, février 2004.