Quelle belle contradiction : l’écolo est censé habiter à la campagne, et la vie à la campagne « est impossible sans voiture ». Or quoi qu’on dise « la bagnole, ça pue, ça tue et ça pollue » et « les carapaces, ça prend de la place » et même à la campagne. Moralité le soi-disant modèle écologique serait dramatique s’il était généralisé.
C’est presque un lieu commun maintenant de dire « qu’il n’est pas possible de vivre sans voiture à la campagne ». C’est une forme de « pensée unique ». Si on demande à quelqu’un à quelle distance se situe le village de « pétaou », il nous sera répondu par exemple « 25 minutes », il est implicite que le mode de transport sera la voiture. On saura si une personne est chez elle à la vue de sa voiture garée. On parlera de quelqu’un, en rappelant la marque de sa voiture ou sa couleur. Une route coupée crée un sentiment d’isolement inquiétant (1). Les alternatives sont systématiquement dénigrées et sous-utilisées. Il y a bien peu de responsabilisation pour sauvegarder un service de transport en commun en l’utilisant, même si cela fait quand même plaisir qu’il existe. Avez-vous vu une seule ferme sans voitures à son entrée ? La facilité de stationnement et l’absence de congestion rend l’usage de la voiture systématique même pour des distances très courtes.
Et pourtant…
La plupart de la campagne est encore sans voiture.
La campagne était non-motorisée jusqu’à récemment.
De nombreuses régions du monde ont peu ou pas de voitures à la campagne.
Des gens vivent sans voiture à la campagne.
Des zones sans voitures existent à la campagne.
Des campagnes sans voiture
La voiture est en effet complètement tributaire des routes pour ses accès. Et il existe fort heureusement encore de nombreux espaces sans routes et donc sans voiture. Ce sont les forêts, les prairies, les champs. Et ces espaces, accessibles à pieds, représentent un grand attrait pour les gens en mal de campagne.
La campagne était non-motorisée jusqu’à récemment
Pendant la plus grande partie de l’histoire humaine, les humains ont habité à la campagne et sans voiture. Et même après l’apparition des villes, les campagnes sont restées très peu motorisées au moins jusqu’à la deuxième guerre mondiale (2). Les Grisons en Suisse sont même restés interdits aux voitures jusqu’aux années 30 (3). Après la dernière guerre, le taux de motorisation est resté faible. Sans internet, sans techniques modernes, les anciens ont semblé survivre à la campagne sans voiture, tandis que cela semble tout à fait impossible de nos jours, malgré notre fierté technologique.
Une chose a bien sûr changé dans notre mentalité : nous avons paraît-il besoin de mobilité. Et pourtant n’étaient-ils pas mobiles nos anciens ? Une partie était sédentaire, mais d’autres étaient nomades. Ce qui a changé ce n’est pas tant le besoin de mobilité, mais le besoin de se déplacer tous les jours, de 30 km en moyenne (4) (5). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le temps dévolu aux transport a très peu changé au cours des décennies, des siècles voire depuis la préhistoire (6), c’est seulement la vitesse instantané à laquelle nous nous déplaçons qui a changé.
Ce qui a changé ce n’est pas tant le besoin de mobilité, mais le besoin de se déplacer tous les jours, de 30 km en moyenne.
Des régions du monde ont peu ou pas de voiture à la campagne
Certaines régions du monde ont encore un taux de motorisation très faible à la campagne. En Europe, il suffit de se promener au Portugal pour s’apercevoir que les villages ont un nombre de voitures très réduit. Et il existe bien sûr dans le monde de nombreuses régions où les campagnards n’ont pas de voiture. Dans bien des cas, l’absence de voiture n’est pas choisie, elle a une origine économique. Les faibles revenus de la campagne ne permettent pas toujours de payer les coûts liés à la motorisation.
Des gens sans voiture à la campagne
Même dans nos contrées, de nombreuses personnes continuent à vivre encore sans voiture à la campagne. Et semblent même parvenir à survivre ! Mais il est vrai que le taux de motorisation est en général plus élevé à la campagne. En Grande Bretagne, le taux des ménages campagnards sans voiture est de 16% alors que 40% des ménages londoniens n’ont pas de voiture. En France, le taux de non-motorisation est sensiblement le même en ville et à la campagne : entre 15 et 20%, à l’exception des grandes villes : 30% à Lyon et Marseille, 50% à Paris. Plus les villes sont grandes et plus les personnes… marchent à pied. Jusqu’à un tiers des déplacements dans la capitale (7).
Ce sont, nous dira-t-on, pour la plupart des personnes âgées qui n’ont jamais su conduire. En réalité il existe d’autres catégories sans voiture à la campagne. Ce sont les jeunes qui n’ont pas le permis, des défavorisés, les membres de la famille qui n’ont pas accès à la voiture car elle est déjà utilisée par un autre membre de la famille pour aller travailler et, parfois, des gens qui font le choix de vivre sans voiture à la campagne pour des raisons écologiques ou éthiques.
Des zones sans voitures à la campagne
Il y en a de plusieurs types. En premier lieu ce sont les zones où il n’est pas possible d’accéder avec des voitures. Cette catégorie comprend des îles, des villages et refuges haut-perchés en montagne, des zones de vallée abrupte où une route ne pouvait être construite (8). Une autre catégorie existe, dont les habitants sont en général aisés, ce sont les zones à vocation touristique. Sans parler des différents parcs d’attraction, dont l’attrait principal, peu mentionné, est d’être libéré des autos, ce sont les villages touristiques, médiévaux pour la plupart…
Puisqu’il existe des gens sans voiture à la campagne, c’est que ça doit être possible ?
François Schneider
(1) Une pile du pont menant à Die (Drôme) s’étant écroulée lors d’une tempête fin 2003, la pression a été telle qu’un pont militaire flottant a dû être mis en place dans les plus brefs délais. C’est dire que la région n’est pas vraiment autosuffisante.
(2) Selon l’INSEE, en 1953, en France, un ménage sur cinq seulement avait une voiture. En 1966, un ménage sur deux a une voiture. En 1973, on atteint une voiture par ménage dans les campagnes, un peu plus d’une voiture par ménage dans la banlieue de Paris et seulement deux voitures pour trois ménages dans Paris. Aujourd’hui, 28% des ménages disposent de plus d’une voiture. Ce taux monte à 47% pour les ménages ayant des enfants scolarisés.
(3) www.bikecult.com.
(4) Le Monde Initiatives, juillet/août 2003.
(5) Selon une étude de l’INSEE de 1994, le kilométrage parcouru diminue avec la densité de la population. Un automobiliste de centre-ville parcours deux fois moins de distance qu’un automobiliste rural.
(6) F. Schneider, A. Nordmann, F. Hinterberger, Road Traffic Congestion, Extend of the Problem, World Transport Policy & Practice, Volume 8, Number 1, 2002, pp34-41, http://wTransport.org.
(7) La mobilité urbaine et sa régulation, quelques comparaisons internationales, Alain Bieber, Jean-Pierre Orfeuil, www.urbanisme.equipement.gouv.fr.
(8) En fait dans de nombreux cas une route aurait pu être construite ou des voitures auraient pu être amenées sur les îles sans voiture, mais la difficulté de l’opération a permis aux habitants de s’habituer à cette situation et d’en apprécier les avantages.