En décembre 1986, je me hasardais à confier mes expériences d’autoconstruction d’éoliennes aux lecteurs de Silence [1]. Il s’agissait alors de relater avec un brin d’amusement quelques réflexions autour de deux engins qui animaient mon quotidien. En effet, une éolienne multipale m’approvisionnait en eau sous pression alors qu’un aérogénérateur tripale de 5 mètres de diamètre me fournissait du courant triphasé pour une puissance d’environ 3 kW. L’objectif de ce nouvel article n’est pas de revenir sur cet épisode de ma vie passée, mais de voir comment en une vingtaine d’années un discours écologique extrémiste, à la limite du crédible, a pu gagner une part d’honorabilité et être aujourd’hui revendiqué par de nombreux intervenants.
Un traumatisme nommé Tchernobyl
Le contexte de ce premier article n’était pas anodin. Quelques mois plus tôt, le bloc soviétique connut une terrible secousse dont on mesure encore mal les conséquences. Dans la nuit du 26 avril 1986, le réacteur n°4 de Tchernobyl explosait. Un nuage radioactif voyagea alors en Europe au gré des vents, sans souci des frontières, comme dans un cauchemar prémonitoire. Ce fut aussi la fin d’un mythe : l’industrie nucléaire dut revoir en une hausse sévère sa probabilité d’accidents majeurs. Bien sûr, elle n’hésita pas à évoquer la déliquescence du pouvoir soviétique, le principe même de fonctionnement des centrales russes (RBMK) ou le faible nombre de décès recensé officiellement (une trentaine) pour minimiser le drame. Il n’empêche que certains faits sont incontournables [2]. Jusqu’à deux cents km sous le vent, environ 200 000 personnes furent déplacées. Des liquidateurs au nombre de 600 000 se sont succédé sur les lieux pour essayer de nettoyer grossièrement le site. Et que sont devenus les 40 000 premiers d’entre eux, militairement réquisitionnés pour un temps de travail maximal par individu d’environ quatre-vingt-dix secondes sur les débris du réacteur ? Et les mineurs de Donbass qui creusèrent à la pelle un tunnel d’accès sous le réacteur sans aucun vêtement de protection spécifique mais probablement à grand renfort de vodka ? Et les quelque 20 000 enfants de Pripiat, ville où se situe la centrale, et qui ne furent évacués que deux jours après l’accident ? Aujourd’hui, la plupart de ces acteurs sont éparpillés dans l’immensité de l’empire brisé et y meurent lentement dans un silence anonyme, sans interférer sur les bilans de l’accident.
Cet accident a probablement ébranlé des certitudes technocratiques. Du moins, l’opinion publique européenne s’interrogea sur les dangers de l’énergie nucléaire et un refus populaire de cette filière technologique devint majoritaire en Europe. Peu à peu par le biais des élections, cela s’est traduit par des inflexions sensibles dans les politiques gouvernementales.
Déchets radioactifs contre gaz à effet de serre ?
Mais l’alternative industrielle au nucléaire était alors, et est toujours, basée principalement sur des carburants fossiles (pétrole, charbon, gaz) qui posent d’autres problèmes cruciaux. D’une part, tout comme l’uranium, les stocks de ces matières sont limités et les prévisions d’approvisionnements sont très faibles à l’échelle d’une civilisation, de l’ordre de deux générations par exemple pour le pétrole ou l’uranium. Les conséquences sur les futurs prix de revient seront extrêmes et posent de sérieux problèmes de prospectives économiques. Par ailleurs, leurs fortes concentrations dans
certaines zones géographiques politiquement « incorrectes » ou instables suscitent d’autres incertitudes en terme de relation internationale tout aussi lourdes à gérer.
Cependant c’est un autre problème attaché à l’utilisation même de ces sources d’énergie fossile qui a pris une ampleur considérable au cours de cette dernière décennie. Déjà au début des années 80, quelques voix s’élevèrent pour signaler des perturbations environnementales d’origine industrielle (pluies acides, trou d’ozone, etc.). En 1988, l’ONU créait le Groupe intergouvernemental d’évaluation du climat (GIEC [3]) qui regroupait plus de 3000 experts de 60 pays, pour étudier le problème. Mais c’est véritablement au Sommet de Rio-de-Janeiro en 1992, en réponse aux alarmes incessantes de ces scientifiques, que la Communauté internationale reconnut l’aspect mortifère de l’émission grandissante des gaz à effet de serre. Il faudra attendre 1997, pour que les représentants de 159 pays approuvent le protocole de Kyoto, engageant 38 pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012. Nous connaissons tous les péripéties récentes pour la ratification de ce protocole à Bonn, après moult amendements restrictifs, le 23 juillet 2001. A n’en pas douter, devant des urgences de survie, nos gouvernants sont prompts à la détente !
A l’échelle mondiale, seul référent pertinent en climatologie, la principale source de rejet des gaz à effet de serre provient de la production électrique [4]. Bien sûr, en France, du fait de la prégnance de l’électro-nucléaire [5] peu émetteur de gaz à effet de serre, la répartition des origines de ces gaz à effet de serre est différente [6]. Ainsi, se retrouve-t-on dans une situation kafkaïenne, au piège entre deux menaces planétaires directement liées aux déchets de la production électrique : radioactif ici et gazeux là-bas. Au choix de l’arme du suicide, les opinions diffèrent suivant la sensibilité ou les avantages pécuniaires de chacun : portefeuille boursier, salaires d’employés, croissance nationale, etc. Et que se passera-t-il quand notre mode de vie occidental sera légitimement revendiqué par les 4/5 de la population mondiale actuellement en phase de développement et que le nombre des passagers de notre vaisseau planétaire atteindra des sommets vertigineux ?
Sortir de l’ère paléocalorifique
Évidemment [7], seules les énergies renouvelables peuvent résoudre ce dilemme. La solution est si simple qu’on se demande pourquoi elle ne devient pas une priorité universelle de civilisation. Le "combustible" solaire qui nous offre de l’énergie sous forme de vent et de chaleur, est gratuit, abondant et éternel à l’échelle de notre espèce. Son utilisation n’induit aucun impact environnemental majeur et irréversible à la différence des transformations polluantes de nos énergies de stock (charbon, pétrole ou uranium). Malheureusement, comme pour nos ancêtres du néolithique qui mirent quelques milliers d’années pour quitter l’état de chasseur-cueilleur pour devenir éleveur-agriculteur, le passage de l’ère « paléocalorifique » actuelle à celui d’une société durable sur le plan énergétique demandera du temps. Et peut-être quelques cataclysmes ?
Dans le domaine de l’éolien, nous commençons à sentir ce basculement des mentalités. L’impulsion nous vint de Californie si souvent donnée comme un modèle à suivre [8]. Au début des années 80, des mesures fiscales favorisèrent l’émergence des énergies renouvelables dans cet Etat américain. La technologie d’alors était naissante et les solutions retenues relevaient parfois d’un désolant simplisme. Ainsi, pour obtenir des productions électriques acceptables avec des éoliennes aux capacités très limitées (environ 100 kW), les promoteurs les multipliaient à outrance. Apparurent alors ces impressionnantes étendues de milliers d’aérogénérateurs dont l’impact visuel fut si fort qu’ils attirent encore les publicitaires en mal d’images sensationnelles, au risque d’induire des réticences légitimes pour cette technique initialement « envahissante ». Stimulée par un marché porteur en expansion, la technologie éolienne se perfectionna.
En Europe, le Danemark accompagna ce développement technique et devint rapidement incontournable bien qu’accusant un énorme retard. En 1986, la Californie avait déjà plus de 1000 MW [9] éolien installés sur son sol alors qu’en Europe, seul le Danemark possédait des parcs éoliens pour une puissance comprise entre 50 et 100 MW ! Vers 1990, l’Allemagne commença à s’intéresser à cette filière et dès 1994 la puissance
éolienne installée sur son territoire dépassait celle du Danemark. Deux années plus tard, elle devançait la Californie pour arriver à 5 432 MW [10] installés sur le sol allemand en fin de l’année 2000.
La France aux abonnés absents
Pour notre pays, le démarrage fut un peu plus laborieux. Des erreurs de la politique de soutien à cette filière éolienne naissante furent manifestes. La comparaison avec l’exemple espagnol est très instructive. Le point de départ est le même : en 1996, les deux pays n’ont pratiquement pas de parcs éoliens. En février de cette année-là, La France lance à grand renfort médiatique un programme baptisé Éole 2005 avec comme objectif affiché d’atteindre une puissance éolienne installée située entre 250 et 500 MW à l’horizon 2005. Malgré une ambition très mesurée, Éole 2005 se révéla incapable de stimuler les industriels. Il faut avouer que ce programme était dès l’origine placé sous de très mauvais auspices. D’une part, Éole 2005 était sous la tutelle d’Électricité de France (EDF) qui montrait déjà une volonté soutenue et un grand savoir-faire éolien ! Ensuite, le principal critère de sélection était basé sur le prix de vente de cette électricité éolienne, ce qui poussait les postulants à minimiser leurs coûts de production pour être retenus, quitte à rendre irréalisable leur projet. Tant et si bien qu’aujourd’hui, alors que ce plan est complètement caduc, une trentaine de MW seulement ont été installés dans ce cadre.
Pendant ce temps, l’Espagne avec une politique plus circonspecte de prix de rachat garanti sur le modèle allemand, intégrant le fait de soutenir une nouvelle industrie et de valoriser les pollutions évitées, se retrouve aujourd’hui au deuxième rang européen, devant le Danemark, avec environ 2500 MW installés.
Eolien : un nouveau souffle...
C’est étrangement des entrailles d’un monstre moderne qu’une solution pour l’industrie éolienne française se profile à l’horizon. Dans le cadre de la mondialisation, l’ouverture des marchés de l’électricité à la concurrence a stimulé des perturbations dans le paysage électrique national qui devraient avoir quelques effets positifs sur la place des énergies renouvelables dans notre avenir énergétique. La loi n°2000-108 du 10 février 2000 « relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité » dite plus couramment « loi électricité » impose de nouvelles règles plus équilibrées dans ce secteur. La principale est la création d’un organisme indépendant de contrôle, la Commission de régulation de l’électricité (CRE) qui régulera ce marché sur le modèle de l’ART dans les télécommunications. Sous son autorité, la séparation entre les activités de producteur, de transporteur et de distributeur de l’électricité qu’EDF monopolisait en grande partie, sera menée à terme. Pour être complète, cette mutation sera probablement longue et parsemée de quelques soubresauts tant les habitudes hégémoniques de l’entreprise sont ancrées. Par ailleurs, dans son article 10, cette loi institue une obligation d’achat de l’électricité issue d’énergies renouvelables pour des installations d’une puissance inférieure à 12 MW par les distributeurs d’électricité (EDF ou les distributeurs non nationalisés). Le premier verrou législatif sur les énergies renouvelables a donc sauté même si on est encore en attente de tous les décrets d’application qui devront stabiliser ce nouvel environnement.
Le deuxième blocage qui limitait l’épanouissement des énergies renouvelables [11] était la fixation du prix de rachat du kWh produit. En effet, la mobilisation des industriels qui sont avant tout des capitalistes, ne l’oublions jamais, ne peut se faire que s’il y a un avantage financier réel à investir dans une nouvelle filière. En situation actuelle de crise climatique aiguë, avec une production électrique de type monopolistique dont les investissements initiaux, largement soutenus par l’État, sont en voie d’amortissement, la libre action des lois économiques naturelles du commerce (fixation des prix par la concurrence, etc.) ne peut modifier le marché. Une action volontariste de l’État est nécessaire pour réorienter le marché.
Par ailleurs, depuis quelques années, des travaux sont menés pour évaluer les « externalités » environnementales de l’utilisation des énergies. Le sujet est ardu. Il
s’agit d’analyser l’ensemble des pollutions engendrées par un choix technologique et d’en estimer son véritable coût pour nos sociétés. La difficulté est double car les systèmes étudiés sont complexes, allant des techniques d’extraction des matériaux de construction jusqu’au démantèlement des usines, et parce qu’il faut, ensuite, apprécier financièrement leurs nombreuses conséquences tout au long de la chaîne de fabrication. Mais comment chiffrer sur une même échelle de valeurs, les effets du rejet d’un gaz à effet de serre , les conséquences d’un bruit industriel, l’impact visuel, les probabilités d’accidents, etc. ? D’autant plus que l’ensemble de ces travaux tourne autour de l’évaluation de la Vie ! Pour rester simple, sans s’attarder sur les nombreux méandres de la vie sur notre planète, que coûte l’existence humaine ? Vous imaginez que le débat est loin d’être clos et ouvre un champ d’investigation immense. Quelques centres de recherches, surtout dans les pays germaniques, se penchent sur la question. Au niveau de la Commission européenne, un tel programme a été initié sous le vocable : « ExternE » [12]. Un premier rapport d’étude a été livré en 1995, complété en 1998, et une prochaine mouture est en préparation.
En dépassant la difficulté surréaliste de la question, il faut bien reconnaître que cette approche est essentielle car elle promet une comparaison enfin exhaustive entre les différents processus industriels. L’ambition finale de cette approche est d’intégrer systématiquement ces externalités, par exemple sous forme d’écotaxe ou de tarif préférentiel, dans le prix de vente des « produits ». Dans le domaine spécifique de l’énergie, il s’agit d’intégrer financièrement le degré de « propreté » de nos carburants pour influer ensuite sur leur consommation.
Dans cette optique, à la fin de l’année dernière, le gouvernement français a entamé une réflexion sur le prix de rachat de l’électricité d’origine renouvelable dans le cadre de la nouvelle loi « électricité ». Cela s’est traduit par la promulgation de tarifs intégrant cette nouvelle approche pour la vente des productions électriques d’origine renouvelable. Le 8 juin 2001, l’arrêté d’application concernant l’énergie éolienne était communiqué. Le contrat d’achat de l’électricité éolienne d’une durée de 15 ans a un prix de base variable suivant les années de fonctionnement de la centrale. Le prix du kWh est fixé uniformément à 0,55 F (valeur 2001)/kWh les cinq premières années, puis variera entre 20 et 55 centimes pour les dix années suivantes selon la qualité aérologique des sites. Cette dernière mesure devrait permettre une meilleure diffusion des parcs éoliens sur l’ensemble du territoire français, puisque les sites les moins ventés verront leurs prix de base surévalués.
Ces deux nouvelles mesures (cadre législatif et tarification) fortement incitatives devraient permettre de répondre à nos différents engagements internationaux, notamment à la directive européenne sur les énergies renouvelables signée le 5 décembre 2000. Dans le prolongement du protocole de Kyoto, la Communauté européenne y déclare son objectif de doubler la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique globale (électricité, chaleur, carburant, etc.) pour arriver au seuil de 12 %. Dans le secteur strictement de l’électricité, cette prévision impose que ce ratio atteigne 23,5%. Comme l’effort demandé à chaque État est fonction de la proportion actuelle des énergies renouvelables, la France devra passer de 15% d’électricité d’origine renouvelable en 1997 à 21% en 2010, soit une production d’environ 113 TWh [13]. L’hydroélectricité qui produit actuellement presque la totalité des 15% de notre électricité d’origine renouvelable, n’a guère la possibilité de s’accroître. Les seules filières renouvelables capables de répondre à ce défi tournent autour de la biomasse [14] et de l’éolien. D’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), une trentaine de TWh devrait être d’origine éolienne en 2010 pour remplir a minima les engagements souscrits. Cet objectif est très ambitieux puisqu’il vise à installer entre 10 000 et 14 000 MW de puissance éolienne pour un coût d’investissement variant de 10 à 13 milliards d’euros ! Le gouvernement est quant à lui plus mesuré et prévoit 5 000 MW en 2010 faisant fi des quotas préconisés par la directive. La mise en perspective avec la situation actuelle de l’éolien en Europe suffira à évaluer l’ambition de ces chiffres.
Le nouveau capitalisme
Le potentiel de ce marché a de quoi susciter de nombreux appétits industriels… D’une part, les industriels éoliens allemands et danois, qui délaissaient notre territoire, commencent à installer des filiales françaises. Le numéro 1 mondial de la construction d’aérogénérateurs, la société danoise Vestas recherche une zone industrielle pour construire une usine de fabrication avec 400 employés dans le Sud-Est. Le premier acteur sur la scène mondiale de l’énergie, l’Américain Enron [15] qui pèse une centaine de milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2000 et qui n’occupe que la cinquième place dans l’éolien (10% du marché) est aussi aux premières loges… Par ailleurs, des sociétés connues de tous (Alstom, Cegelec, Spie-Trindel, etc.), très néophytes en la matière, s’implantent dans le secteur. Par le jeu des filiales, les industriels de l’électronucléaire se repositionnent à l’image de Framatome dont sa filiale à 100%, Jeumont Industrie, est le seul fabricant français d’éoliennes de plus de 500 kW. Et que dire même d’EDF qui a acquis 35% du capital de la société SIIF-Energies qui œuvre dans l’éolien et dont un des dirigeants est le président du Syndicat des énergies renouvelables ! Certains directeurs de services d’EDF affirment même publiquement que cette entreprise détiendra 30% du futur parc éolien français… De plus, avec la perspective d’installer des centrales éoliennes à quelques kilomètres des côtes où le potentiel énergétique est plus important et où l’absence de voisinage permettra d’installer des machines géantes (projets de 5 MW, 50 m. de longueur de pale) plus rentables que celles d’aujourd’hui (1 MW, 30 m. de longueur de pale), de nouveaux opérateurs montent à la charge. Des pétroliers (BP, TotalFinaElf [16], Shell, Bouyghes Offshore) se positionnent sur ce créneau en vantant leur savoir-faire dans les plates-formes marines. Bref, le secteur de l’éolien est bien devenu une niche industrielle très prometteuse et il est probable qu’à court terme le marché se restructurera sur de grands groupes industriels pouvant supporter d’aussi importants investissements.
Intégration dans le paysage
Si on peut se réjouir de l’inversion des mentalités des industriels français face à l’éolien en l’espace de quelques années, cette professionnalisation a tout de même de quoi nous interroger. En simplifiant à l’extrême, sans tenir compte des progrès technologiques qui orienteront probablement à préférer l’espace maritime plutôt que l’implantation terrestre, il ressort que les prévisions de l’ADEME à l’horizon 2010 représentent actuellement 10 000 machines d’une centaine de mètres de haut sur l’ensemble du territoire. Si certains départements seront peu touchés par cette fièvre, d’autres accueilleront des dizaines d’éoliennes concentrées en quelques parcs. Actuellement les quelques éoliennes de la métropole (Dunkerque, Donzère, Port-la-Nouvelle, etc.) sont plutôt des objets de curiosité assez bien perçus par une grande majorité de la population. Essentiellement concentrées dans l’Aude et dans le nord de la France, elles n’ont pas soulevé de vives protestations de la part des riverains. Mais qu’en sera-t-il quand leur nombre grandira au point d’atteindre l’ordre de grandeur de densité des châteaux d’eau (16 000) en France ? L’analogie avec les 240 000 pylônes de lignes électriques à haute tension si décriés est plus difficile à faire : les quantités, les formes, les couleurs, etc. sont si peu comparables. Quoiqu’il en soit, la question mérite d’être posée d’autant plus si ce marché revient à des industriels connus pour leur quête du profit et un manque de respect du bien public. Pour des raisons mercantiles, voire pour redorer certains blasons noircis en se référant à une énergie propre, nous risquons de voir des éoliennes s’ériger dans des zones sensibles au détriment d’autres intérêts locaux. Même si, une fois l’erreur reconnue, le démantèlement d’éoliennes injustifiées est rapide et total, il reste qu’il vaut toujours mieux prévenir avec sagesse que guérir sous la contrainte de pétitionnaires.
Que l’éolien finance la maîtrise de l’énergie
Ultime paradoxe de cet engouement industriel, l’accroissement de la consommation électrique ne manquera pas d’être stimulé… Pour implanter de nouvelles éoliennes en vue d’accroître les bénéfices des constructeurs et notre sacré PNB ! Le Comité de liaison des énergies renouvelables [17] (CLER) qui regroupe plus de 130 organismes
(entreprises, associations, universités, etc.) œuvrant dans ce domaine met en garde contre de telles dérives. Pour le CLER, l’installation d’un parc éolien devrait s’accompagner systématiquement de mesures propres à maîtriser la consommation. Les substantielles taxes professionnelles générées par ces centrales éoliennes et reversées pour moitié environ au département devraient impérativement être réinvesties dans des actions d’éducation à la maîtrise de l’énergie. Ainsi la puissance de ces parcs serait augmentée artificiellement sans dégradation paysagère supplémentaire.
Mais vu l’esprit de gaspillage qui prévaut dans nos sociétés occidentales, cette mesure a minima de bon sens sur le chemin du développement durable est un vaste programme pour les quinze prochaines années…
Christian Maillebouis
Polénergie, Centre d’informations sur les énergies renouvelables
(07 Aubenas)
Tél : 04 71 65 09 49
[1] Pour les curieux, je les renvoie au numéro 87 de Silence ou au hors-série sur les énergies renouvelables (ndlr : tous deux épuisés).
[2] Pour avoir de plus amples renseignements, se reporter principalement aux numéros 69 et 96 de La gazette nucléaire, GSIEN, 91400 Orsay. Voir aussi www.multimania.com/yvesrenaud/Gazette/6970/69_70_03.html.
[3] Plus connu sous son acronyme anglais : IPCC (International Panel on Climate Change).
[4] Environ 45% des émissions.
[5] Environ 80% de la production électrique nationale.
[6] Dans nos frontières, la principale source de pollution en gaz à effet de serre est le secteur des transports, responsable d’environ 40% des émissions.
[7] A vrai dire, la honte m’étreint d’affirmer une telle évidence !
[8] Son économie la place au cinquième rang mondial, devant la France. Même sa très mauvaise maîtrise de la consommation électrique qui a amené une pénurie au début de l’été est à méditer ! Mais cette analyse serait trop longue dans le cadre de cet article.
[9] Un mégaWatt (MW) = 1000 kiloWatt (kW)
[10] Dont 987 MW pour l’année 2000. D’après Le baromètre de l’énergie éolienne de EurObserv’ER paru dans n°141 de Systèmes Solaires. Le syndicat des producteurs éoliens annoncent un peu plus, environ 6000 MW.
[11] Comme nous l’avons vu précédemment dans la comparaison de la situation française et espagnole.
[12] Pour Externalities of Energy, porté par la Direction Générale DG XII. Et pour répondre à votre curiosité, sachez que le dernier rapport ExternE évalue « la valeur statistique de la vie humaine » a 20 MF !
[13] Un térawattheure (TWh) = 1 milliard de kilowattheure. La production d’ un réacteur nucléaire REP 900 MW est de l’ordre de 6 TWh/an.
[14] La biomasse recouvre un champ très large allant de la valorisation énergétique du bois (brut ou déchet), des déchets agricoles (pailles, etc.) ou des industries agro-alimentaires, des biocarburants (éthanol ou diester), du biogaz (méthanisation des lisiers, boues de stations d’épuration, etc.).
[15] Fortune Global 500 classe la société Enron au 62e rang mondial (juste après Peugeot et devant Renault !). Voir p.61 de Enquête au cœur des multinationales, Mille et une nuits, n°31.
[16] TotalFinaElf a annoncé l’installation de 5 grands aérogénérateurs de 2 à 3 MW sur le site de la Raffinerie des Flandres à des fins de test en vue de vastes centrales offshore de 100 MW. Pour sa part le groupe Shell envisage un parc de 40 éoliennes au sud-est de l’île de Groix.
[17] Comité de liaison des énergies renouvelables, 2B, rue Jules-Ferry, 93100 Montreuil.